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Fonds Norbourg Placements équilibrés (Liquidation de)

no. de référence : 500-11-026909-057

CANADA




PROVINCE DE QUÉBEC




DISTRICT DE


MONTRÉAL









N° :


500-11-026909-057









DATE :


Le 31 juillet 2006




______________________________________________________________________









SOUS LA PRÉSIDENCE DE :


L’HONORABLE


ROBERT MONGEON, J.C.S.




______________________________________________________________________









DANS L'AFFAIRE DE LA LIQUIDATION DES BIENS DE:






FONDS NORBOURG PLACEMENTS ÉQUILIBRÉS

FONDS NORBOURG PLACEMENTS INTERNATIONAUX

FONDS NORBOURG ACTIONS-SITUATIONS SPÉCIALES

FONDS NORBOURG DÉBENTURES CONVERTIBLES

FONDS NORBOURG REVENUS FIXES

FONDS NORBOURG MARCHÉ MONÉTAIRE

FONDS NORBOURG SOCIÉTÉS ÉMERGENTES DE CROISSANCE

FONDS NORBOURG RÉPARTITION TACTIQUE DES ACTIFS CANADIENS



FONDS ÉVOLUTION MARCHÉ MONÉTAIRE

FONDS ÉVOLUTION ÉQUILIBRÉ

FONDS ÉVOLUTION RÉPARTITION D'ACTIF CANADIEN

FONDS ÉVOLUTION ACTIONS CANADIENNES-GRANDES CAPITALISATIONS

FONDS ÉVOLUTION ACTIONS CANADIENNES-VALEURS

FONDS ÉVOLUTION EXPANSION QUÉBEC

FONDS ÉVOLUTION LEADERS MONDIAUX

FONDS ÉVOLUTION AMÉRICAIN

FONDS ÉVOLUTION OBLIGATIONS

FONDS ÉVOLUTION FINANCE ET TECHNOLOGIE

FONDS ÉVOLUTION DÉMOGRAPHIE CANADIENNE

FONDS ÉVOLUTION TENDANCES DÉMOGRAPHIQUES

FONDS ÉVOLUTION SÉLECTION FTB

FONDS ÉVOLUTION RÉA

FONDS ÉVOLUTION LEADERS MONDIAUX RER

FONDS ÉVOLUTION AMÉRICAIN RER

FONDS ÉVOLUTION PERFOLIO REVENU DIVERSIFIÉ

FONDS ÉVOLUTION PERFOLIO MONDIAL

FONDS ÉVOLUTION PERFOLIO ÉQUILIBRÉ

FONDS ÉVOLUTION PERFOLIO CROISSANCE

FONDS ÉVOLUTION GESTION D'ACTIF-SECTEUR D'AVENIR MONDIAUX




(ci-après collectivement appelés les "Fonds"




-et-




PIERRE LAPORTE




Liquidateur














______________________________________________________________________









JUGEMENT




______________________________________________________________________










INTRODUCTION

a) Un bref historique

[1] Le 25 août 2005 l'Autorité des Marchés Financiers (l'AMF), prenait le contrôle des opérations du Groupe Norbourg, dirigé par son actionnaire principal, Vincent Lacroix. Cette intervention, Dieu merci assez rare dans le monde financier mais relativement plus fréquente ces derniers temps, était provoquée par la découverte d'une fraude présumée de quelques 130,000,000$ auprès de plus de 9,200 comptes appartenant à 8,300 clients‑investisseurs ayant confié leurs épargnes et leurs régimes de retraite autogérés à un groupe d'opérateurs qui, si les faits qu'on leur reproche sont prouvés, auront démontré une incroyable absence de scrupules et un total mépris à l'égard de ceux qui leur ont fait confiance.

[2] Cette prise de contrôle s'est effectuée par le biais de la Loi sur les valeurs mobilières du Québec[1] (la LVM). Suite à une décision (pièce P-1) du Bureau de décision et de révision en valeurs mobilières (BDRVM) une recommandation a été faite au Ministre des finances du Québec de nommer un administrateur provisoire des biens des Fonds ainsi que de quatre des principales sociétés du Groupe Norbourg[2].

[3] Une ordonnance du Ministre des finances nommait donc monsieur Richard Messier Administrateur Provisoire (pièce P‑2) en date du 25 août 2005. Dès le 26 septembre 2005, l'Administrateur provisoire remettait son rapport au Ministre (pièce P‑3). Ce rapport démontrait l'existence d'un écart entre les valeurs des fonds de placement (les Fonds) portées aux livres du Groupe Norbourg et les valeurs détenues par The Northern Trust Company Canada (Northern Trust), gardien des valeurs desdits Fonds, de l'ordre de 130,115,000$ (Annexe 3 du Rapport, pièce P‑3).

[4] L'Administrateur provisoire a donc recommandé la liquidation des Fonds.

[5] À la demande de l'AMF et sur recommandation du BDRVM, le Ministre des finances, conformément aux articles 261 et suivants LVM, ordonnait la liquidation des Fonds et nommait monsieur Pierre Laporte Liquidateur des Fonds (pièce P‑5) le tout en date du 25 octobre 2005.

[6] Entre-temps, en date du 13 octobre, Vincent Lacroix provoquait la faillite des cinq principales sociétés composant le Groupe Norbourg[3].

[7] Les articles 261 et 261.1 LVM se lisent comme suit:

261. Le ministre peut, sur recommandation du Bureau de décision et de révision en valeurs mobilières:



1. révoquer l'ordonnance prononcée;

2. prononcer la déchéance d'un membre du conseil d'administration ou son inhabileté à exercer de telles fonctions et pourvoir à son remplacement;

3. ordonner la liquidation des biens de la personne visée et désigner un liquidateur;

4. ordonner la liquidation de la société visée et désigner un liquidateur;



Tout membre du conseil d'administration déchu de ses fonctions en vertu du présent article est inhabile à occuper la fonction d'administrateur pour cinq ans.



La décision du ministre ordonnant la liquidation de la société visée a le même effet qu'une ordonnance rendue par un juge de la Cour supérieure ne vertu de l'article 25 de la Loi sur la liquidation des compagnie (chapitre L-4).



261.1. Le ministre peut mettre fin à la liquidation ordonnée en vertu de l'article 261 s'il estime que l'on ne peut raisonnablement espérer que sa continuation soit à l'avantage des porteurs de titres de la personne visée ou, dans le cas d'une personne inscrite, de ses clients.



262. Les honoraires et les débours de l'administrateur provisoire ou du liquidateur pour l'exécution de son mandat sont prélevés sur la masse des biens administrés, après approbation du ministre.



Ils sont réputés constituer une créance prioritaire, au même titre que des dépenses faites dans l'intérêt commun.



(Soulignements ajoutés)



[8] L'article 25 de la Loi sur la liquidation des compagnies[4] se lit comme suit:



25. L'ordonnance de la cour décrétant la mise en liquidation de la compagnie a les mêmes effets qu'un résolution adoptée par les actionnaires en vertu de l'article 3.



En émettant l'ordonnance, la cour nomme un ou des liquidateurs dans le but de liquider les affaires de la compagnie et de distribuer son actif et dès lors les fonctions des administrateurs prennent fin.



La cour ou l'un de ses juges peut, par la suite, remplir toute vacance survenant dans la charge de liquidateur, et démettre et remplacer tout liquidateur jugé inapte ou indésirable pour quelque cause que ce soit.



La cour, en émettant l'ordonnance de liquidation, et, en tout temps par la suite, la cour ou l'un de ses juges peut donner tout ordre et autoriser toute procédure compatible avec la présente loi pour assurer la protection des droits des intéressés et une liquidation ordonnée de la compagnie.



(Soulignements ajoutés)



[9] L'ordonnance de liquidation (ou ce qui en tient lieu) se lit comme suit:

Désignation d'un liquidateur conformément au paragraphe 3 de l'article 261 de la Loi sur les valeurs mobilières:



Québec, le 25 octobre 2005



Monsieur Pierre Laporte, c.a.

Ernst & Young Inc.

1, Place Ville-Marie, bureau 2400

Montréal (Québec) H3B 3M9



Monsieur,



Vu la décision no. 2005-020 du Bureau de décision et de révision en valeurs mobilières en date du 24 octobre 2005 me recommandant, en ma qualité de ministre des Finances, d'ordonner la liquidation des biens des familles des Fonds Norbourg et Évolution et de désigner la Société Ernst & Young Inc. à titre de Liquidateur.



Vu les articles 261 et suivants de la Loi sur les valeurs mobilières.



Vu l'ordonnance relative à la liquidation des biens des familles des Fonds Norbourg et Évolution émise en date de ce jour.



Je vous mandate à titre de liquidateur chargé de la liquidation des biens des Fonds Norbourg et Évolution (tels que décrits en annexe).



Les honoraires et débours relatifs à l'exécution de votre mandat devront respecter les modalités prévues aux conditions d'honoraires et débours apparaissant en annexe à la présente.



MICHEL AUDET



(Soulignements ajoutés)



[10] Ainsi, le ministre des finances ordonne, conformément au paragraphe 3 de l'article 261 LVM la liquidation des biens d'une "personne" c'est-à-dire un fonds commun de placement qui, pour les fins de ladite ordonnance, est assimilable à une entité dotée d'une personnalité juridique distincte de la compagnie qui les gère et distinct d'un fonds à un autre.

[11] Cette ordonnance fut rendue suite aux faits mis en preuve devant le BDRVM et résumés ainsi qu'il suit dans la décision 2005-020 (P-4):

Le procureur du syndic de faillite a indiqué aux membres du bureau avoir rencontré les représentants de l'Autorité des marchés financiers et avoir discuté avec eux de l'urgence de liquider rapidement les divers fonds qui font l'objet de la présente instance. Reconnaissant cette urgence et le besoin de l'Autorité demanderesse de poser les gestes nécessaires à la protection des investisseurs, le syndic de faillite annonça qu'il retirait l'avis de suspension des procédures évoqué plus haut dans la présente décision quant aux fonds intimés mais qu'il ne le retirerait pas pour ce qui est des sociétés qui sont en faillite.



Toujours selon le représentant du syndic, les sociétés Norbourg Groupe Financier Inc., Fonds Évolution Inc., Ascencia Capital Inc. et Gestion d'actifs Perfolio Inc. sont en faillite; on ne peut nommer un liquidateur à leur égard alors qu'un syndic de faillite a déjà été nommé. Quant aux fonds, il a ajouté que ce sont des patrimoines distincts qui n'appartiennent pas aux sociétés Norbourg et qui ne peuvent faire faillite en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité.[5]



(Soulignements ajoutés)



[12] Le BDRVM a donc ainsi analysé et résumé la situation:

La demande de l'Autorité est fondée sur l'article 261 (3°) de la Loi sur les valeurs mobilières (L.R.Q. c. V-1.1.) qui se lit comme suit:



261. Le ministre peut, sur recommandation du Bureau de décision et de révision en valeurs mobilières:



3° ordonner la liquidation des biens de la personne visée et désigner un liquidateur. [6]



Dans le cadre de son analyse, le Bureau a tenu compte notamment des considérations suivantes que l'on retrouve au sein du Rapport de l'administrateur provisoire auquel il est fait référence plus haut dans le présent texte (Richard Messier, Administrateur provisoires Ernst & Young, rapport provisoire au ministre des finances et à l'Autorité des Marchés Financiers, le 26 septembre 2005, 12 pages), à savoir:



1. Les fonds excluant les fonds Perfolio ne représentent que 14 millions de dollars d'actifs dix-sept fonds ont des soldes inférieurs à 300 000$ et aucun gestionnaire ne sera intéressé par ces fonds.



2. Les fonds ne pourront plus être gérés par les sociétés du Groupe Norbourg. Dans ces circonstances, à moins qu'un liquidateur ne soit nommé par le Ministre, ces fonds, qui constituent des fiducies individuelles, devront continuer à être administrés par un tiers avec les coûts y afférents;



3. Étant donné l'écart important qui existe entre la valeur marchande apparente des éléments d'actif des fonds d'après le gardien de valeurs et les états financiers de ces fonds, il est essentiel qu'une valeur liquidative de chaque fonds soit établie;



4. Seul un liquidateur désigné par le Ministre obtenant ainsi le droit de liquider les actifs détenus dans les fonds pourra, après leur déblocage, dissoudre les fonds en en faire le partage; et



5. Dans les circonstances, le liquidateur désigné par le Ministre aurait les meilleurs outils requis pour poser tous les gestes efficaces et nécessaires afin de protéger du mieux possible les intérêts des détenteurs de parts. Ces gestes pourraient inclure la liquidation pure et simple des éléments d'actif de chaque fonds et la distribution du produit de réalisation aux détenteurs de parts ou, possiblement (et ce, surtout en ce qui concerne les quatre fonds Perfolio), le transfert et la prise en charge par un tiers gestionnaire, moyennant considération, de la gestion desdits fonds.



Le Bureau est également d'accord avec ces recommandations de l'administrateur provisoire qui sont à l'effet que le liquidateur, en priorité, mette en place une stratégie de liquidation des fonds qui devrait être mise en œuvre et complétée sur la plus courte période de temps possible.



Les étapes prévisibles de cette liquidation sont essentiellement les suivantes:



· validation de l'intégrité du contenu des états de compte des détenteurs de parts afin d'établir la base sur laquelle les actifs des fonds seraient distribués;



· conformément aux engagements pris devant le tribunal, détermination et communication complète aux détenteurs de parts de tout impact fiscal, le cas échéant, pouvant découler de la liquidation des fonds et de toute perte de valeur de leurs parts;



· détermination d'une méthode équitable de partage par fonds des coûts de l'administration provisoire;



· réalisation des actifs actuellement confirmés des fonds et distribution initiale aux détenteurs de parts;



· investigation sur les causes de la baisse de valeurs des fonds afin d'identifier toutes transactions douteuses et toutes sorties de capitaux et, si possible et si financièrement justifiable, récupération de ces actifs; et



· distributions additionnelles, le cas échéant, aux détenteurs de parts des sommes nettes recouvrées.



(Soulignements ajoutés)



[13] Le 17 novembre 2005 le Liquidateur obtenait du soussigné l'approbation de la procédure à suivre relativement à la liquidation des Fonds. Cette démarche était rendue nécessaire notamment à cause du fait que la LVM prévoit l'émission d'une ordonnance de liquidation mais ni la LVM ni la Loi sur la liquidation des compagnies ne contiennent quelque disposition sur la procédure de liquidation des Fonds, ni sur les droits et obligations des parties impliquées. Par jugement rendu le même jour, le soussigné autorisait le Liquidateur à préparer et à présenter un plan de liquidation et de distribution pour fins d'approbation et de sanction par le Tribunal.

[14] Ce plan a été déposé sous la cote P-6. Par sa Requête du 2 décembre 2005 (amendée le 11 janvier 2006) le Liquidateur en demande la mise en application.

b) La requête

[15] La requête du Liquidateur fait état des éléments suivants qui, dans l'ensemble, ne sont pas contestés par les tenants de l'un ou l'autre des méthodes de liquidation des Fonds:

a) Les Fonds dont la liquidation des biens a été ordonnée par le Ministre en vertu de l'ordonnance P-5 sont tous des fiducies constituées soit en vertu de conventions de fiducie établies conformément au Code civil du Québec ou par des "Déclarations of trust" en vertu des lois de la province de l'Ontario le tout tel que l'on peut constater des documents constitutifs de fiducie pour chacun des Fonds en question et qui sont produits sous les cotes P-7 et P-7A.

b) À chacun de ces fonds était désigné un gardien de valeurs, en l'occurrence, Northern Trust.

c) À chacun de ces Fonds était désigné un gérant et un fiduciaire qui, en l'occurrence, étaient une société ou un individu faisant partie du Groupe Norbourg (voir pièce P-8).

d) Chacun de ces Fonds possède une philosophie d'investissement propre qui le distingue des autres. Ainsi, un client‑investisseur choisissait un Fonds à cause de ses caractéristiques propres, telles qu'énoncées aux divers prospectus déposés auprès des organismes et autorités réglementaires compétents (voir pièce P-9).

e) Un client-investisseur désirant investir dans un Fonds donné passait donc une commande d'achat auprès d'un courtier, qui la relayait alors au gérant de l'un ou l'autre des Fonds. Le choix du Fonds dans lequel le client‑investisseur désirait placer son avoir était le sien ou celui de son courtier mais non celui du gérant, du fiduciaire ou du gardien de valeurs.

f) Chacun des Fonds constitue une fiducie distincte, il s'ensuit que chacun des Fonds bénéficie d'un patrimoine d'affectation qui lui est propre et qui est indépendant des actifs du gérant, du fiduciaire, du gardien des valeurs et, bien entendu, des autres Fonds.

g) Toute sortie de liquidités d'un Fond entraîne la nécessité par le client‑investisseur de vendre un nombre d'unités correspondant et le retour de ces sommes par l'entremise du fiduciaire et/ou du gérant du Fonds, au courtier ou à l'investisseur.



[16] En date du 31 juillet 2005, l'ensemble des actifs détenus dans les Fonds totalisait 75,111,000$. Ces actifs ont été liquidés et transférés chez un nouveau gardien de valeurs, soit le Trust La Laurentienne.

[17] Mais, selon les états financiers internes des gérants des Fonds, ceux-ci auraient dû afficher une valeur de l'ordre de 205,226,000$ soit un écart de 130,115,000$ (voir tableau paragraphe 5, rapport du Liquidateur, pièce P-6).

[18] Il existe deux grandes famille de Fonds:

a) les Fonds Norbourg;

b) les Fonds Évolution.



[19] Dans les Fonds Évolution, on retrouve les Fonds Perfolio, qui constituent des fonds de fonds c'est-à-dire qui détiennent des unités d'autres fonds communs de placement non nécessairement reliés aux Fonds.

[20] Les Fonds Norbourg ont été dilapidés dans une proportion d'environ 90%. Il ne reste en totalité que 4,928,000$ sur 56,426,000$ inscrits aux registres desdits Fonds.

[21] Les Fonds Évolution (incluant les Fonds Perfolio) détiennent des actifs de l'ordre de 70,183,000$ sur un total de 148,800,000$ inscrits aux registres des fiduciaires de ces mêmes Fonds (soit 47%).

[22] Dans les Fonds Évolution, les Fonds Perfolio représentent 68,723,000$ des 70,183,000$ précités soit environ 97.9% des valeurs résiduelles détenues au 31 juillet 2005.

[23] Le liquidateur indique, dans son rapport du 2 décembre 2005 (P-6), que les Fonds Perfolio étaient moins susceptibles d'être détournés parce que les actifs de ces Fonds étaient constitués d'unités d'autres fonds mutuels. Il était donc plus difficile de transiger sur ces unités sans risquer d'éveiller des soupçons.

[24] Quant au Fonds Évolution REA, la possibilité de détourner les liquidités provenant de ce Fonds était plus faible puisque ce Fonds était géré par une société indépendante et étrangère au Groupe Norbourg, du moins jusqu'en 2005. Au printemps 2005, la gestion de ce Fonds est passée au Groupe Norbourg et les détournements de valeurs provenant de ce Fonds ont alors débuté.

[25] Le rapport P-6 fait aussi état des communications entre le Liquidateur et les clients‑investisseurs les informant de la situation telle qu'elle fut constatée au 25 août 2005 et les avisant qu'en fonction des structures juridiques des Fonds constitués de Common Law Trusts et de fiducies du Code civil, chacun des Fonds possédait un patrimoine autonome. Il était donc de l'intention du Liquidateur de distribuer les actifs des Fonds sur une base Fonds par Fonds et non sur la base d'une méthode de liquidation et de répartition globale.

[26] Les communications précités ont donné lieu à l'expression de deux volontés distinctes de la part des clients‑investisseurs, au niveau du choix de la méthode de distribution. Les tenants de la Méthode de Distribution Globale sont, pour la plupart, des clients‑investisseurs des Fonds qui ont été le plus sérieusement dilapidés tandis que les tenants de la Méthode de Distribution par Fonds sont en grande majorité des clients‑investisseurs des Fonds où il reste encore des actifs substantiels.

[27] Donc la très grand majorité, sinon la totalité des clients‑investisseurs détenteurs de parts, souhaitent la liquidation des Fonds et la distribution des actifs mais il n'y a pas unanimité sur la méthode de distribution.

[28] Le Liquidateur a aussi fait état d'autres méthodes de distribution dans son rapport P-6. Il suggère notamment une méthode dite de répartition des actifs[7], une méthode de distribution selon le capital investi au 25 août 2005[8], une autre selon la valeur réelle des unités acquises[9] et une dernière selon le nombre d'unités détenues au 25 août 2005.

[29] Les communications avec les clients‑investisseurs détenteurs de parts ou d'unités dans les divers Fonds ont aussi permis au Liquidateur de valider le nombre d'unités détenues au 25 août 2005 au moyen de près de 7,800 confirmations sur un total d'environ 9,200 comptes ouverts.

[30] Le processus de liquidation proposé par le Liquidateur est de distribuer les actifs maintenant liquidés de chaque Fonds et détenus dans 27 comptes bancaires différents auprès du Trust La Laurentienne aux détenteurs d'unités de chacun desdits Fonds, (à l'exception des Fonds REA), selon la Méthode dite de Distribution par Fonds par opposition à une Méthode dite de Distribution Globale parce que:

a) chaque Fonds est une fiducie et possède un patrimoine d'affectation qui lui est propre, distinct des autres Fonds;

b) un fonds fiduciaire de cette nature ne peut transférer ses actifs dans un autre fonds fiduciaire sans considération juste, valable et suffisante;

c) cela irait à l'encontre de la façon de faire dans l'industrie des services financiers en général en matière de fonds communs de placement en particulier que de procéder à une mise en commun de tous les actifs de plusieurs Fonds ayant une philosophie et une stratégie d'investissement propre à chacun de ces Fonds que de tout fondre en un seul compte pour fins de distribution du produit de ce compte à l'ensemble des détenteurs de parts de tous les Fonds.



[31] Le Liquidateur entend donc distribuer, au pro-rata du nombre de parts détenues par les divers détenteurs de parts de chacun des Fonds, la totalité des liquidités disponibles desdits Fonds actuellement détenues entre les mains du nouveau gardien de valeurs, le Trust La Laurentienne, sauf certaines retenues, pour payer les frais, débours et honoraires relatifs à sa gestion et au processus de distribution.

[32] Avant d'effectuer cette distribution, le Liquidateur s'est assuré de la fiabilité des soldes des divers Fonds afin de ne pas distribuer aux clients‑investisseurs détenteurs de parts des sommes qui ne leur appartiennent pas. De plus, lors de son analyse de la comptabilité des Fonds, le Liquidateur a relevé certaines transactions totalisant 264,683$ relevées au cours de la période du 1er septembre 2002 au 25 août 2005 qui doivent selon lui être renversées afin de corriger certains transferts de liquidités. Vu le très faible impact de ces renversements sur la masse des quelques 75 millions à distribuer, le Liquidateur est d'avis que ces renversements n'affectent pas l'intégrité des soldes des Fonds.

c) Les conclusions recherchées

[33] Le Liquidateur recherche donc:

* l'approbation du plan de distribution et de liquidation du 2 décembre 2005;
* une série de mesures administratives visant à pouvoir distribuer et liquider les biens des Fonds sans l'intervention des gestionnaire ou des fiduciaires de ces mêmes Fonds;
* certaines dispositions visant à éviter la fiscalisation des actifs détenus dans des fonds ou régimes d'épargne‑retraire;
* l'autorisation de renverser certains transferts inter‑Fonds totalisant 264,683$;
* l'autorisation de procéder à la liquidation selon la Méthode de Distribution par Fonds, telle distribution devant être effectuée selon certaines modalités;
* l'autorisation de retenir et de ne pas distribuer une somme équivalente à 10% de la valeur liquidative des Fonds afin de couvrir les frais, honoraires et déboursés du Liquidateur.



[34] Le Liquidateur élimine donc la Méthode de Distribution Globale. En effet, selon la méthode proposée, chaque détenteur d'unités d'un fonds spécifique recevrait sa part du solde des actifs de ce fonds spécifique au pro-rata du nombre de ses unités. Cela veut dire que les détenteurs d'unités des Fonds spécifiques qui ont gardé leur intégrité (en tout ou en partie) recevraient une part substantielle sinon intégrale de leur investissement. Selon la seconde méthode, tous les détenteurs d'unités de tous les Fonds spécifiques recevraient une quote-part de l'ensemble des soldes des actifs de tous les Fonds, artificiellement regroupés pour n'en former qu'un seul. Ainsi, tous les quelque 7,800 investisseurs du Groupe Norbourg recevraient une partie de leur mise de fonds estimée à environ 30 à 35% de leur investissement.

[35] Au tout début du processus, le Tribunal s'est interrogé sur la nécessité de voir ces deux thèses adéquatement débattues devant lui. Le Tribunal a donc favorisé la désignation de deux Amis de la Cour dont la fonction a été de soutenir l'une des deux méthodes de distribution, compte tenu du fait que, de son côté, le Liquidateur n'a, à proprement parler, aucun intérêt à faire valoir une thèse par rapport à l'autre, malgré le fait qu'il en préconise une (Méthode de Distribution par Fonds).

[36] Me Jean Fontaine du cabinet Stikeman Elliott a donc reçu le mandat de soutenir la thèse de la Méthode de Distribution Globale tandis que Me Bertrand Giroux du cabinet Brouillette Charpentier Fortin a reçu celui de, soutenir la thèse de la Méthode de Distribution par Fonds. Le Tribunal leur sait gré de l'excellente qualité de leur prestation et les remercie d'avoir relevé ce défi à court terme. Leur travail a énormément facilité l'analyse du soussigné.

[37] La liquidation des Fonds a été ordonnée suite à la découverte par l'AMF d'un écart de plus de 130 millions de dollars entre les valeurs apparaissant aux registres du Groupe Norbourg par comparaison aux valeurs apparaissant aux registres du gardien de valeurs Northern Trust. Cet écart était alors causé par la fraude présumée des principaux dirigeants et actionnaires du Groupe Norbourg. Comme nous le verrons plus loin, ces personnes ont réussi par divers stratagèmes, à tromper la vigilance de tous les investisseurs, avec le résultat désastreux que l'on connaît. Pour pouvoir disposer de la présente requête, le Tribunal doit, à tout le moins prima facie, identifier le mécanisme général de cette fraude et les effets qu'elle a produit sur les Fonds eux-mêmes, sur les actifs de ces Fonds, sur les soldes des valeurs ou des liquidités de chacun de ces Fonds, et sur les transactions effectuées dans ces mêmes Fonds.

[38] Comme nous le verrons plus loin, le principal argument des tenants de la thèse de la Méthode de Distribution Globale est que la fraude corrompt tout (fraus omnia corrumpit) au point que tous les actifs de tous les investisseurs dans tous les Fonds doivent être fondues en une seule masse d'actifs pour le bénéfice de l'ensemble des clients‑investisseurs.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[39] Le présent litige soulève donc la délicate question de l'effet d'une telle fraude sur la méthode de liquidation de ce qui reste. Doit-on déshabiller Pierre pour habiller Paul? Doit-on traiter l'ensemble de ce malheureux dossier comme une vaste fraude ou tous ont été bernés ou doit-on constater la réalité (parfois dure pour certains et simple justice pour d'autres) voulant que la fraude (comme la maladie) soit implacable pour les uns et inexistante pour les autres?

[40] Le Tribunal analysera donc les principaux éléments de la fraude montée et perpétrée par Vincent Lacroix et ses acolytes afin de pouvoir éventuellement bien analyser l'effet de cette fraude sur la méthode de distribution à retenir.

[41] Le Tribunal analysera dans un second temps le travail de vérification de la comptabilité des soldes des Fonds à liquider afin de déterminer si effectivement la fraude de Vincent Lacroix a affecté la fiabilité des soldes des Fonds au point où ceux-ci ne puissent être considérés comme la propriété des détenteurs de parts des Fonds en question.

[42] Pour effectuer une distribution selon l'une ou l'autre méthode proposée, le Tribunal analysera la structure juridique des Fonds afin de dégager les règles et principes lui permettant de retenir une méthode ou une autre. Étant donné que les Fonds sont structurés selon deux régimes différents (Common Law Trusts et fiducies du Code civil) le Tribunal analysera donc les règles applicables à ces deux régimes.

[43] Finalement, le Tribunal étudiera particulièrement les arguments de l'Amicus curiare défendant la thèse de la Méthode de Distribution Globale afin de répondre le plus clairement et le plus complètement possible aux arguments des tenants de cette thèse.

LA FRAUDE

[44] L'écart de quelques 130,000,000$ dans les Fonds est la cause première de la liquidation recherchée. Cet écart serait dû à la fraude de certains dirigeants du Groupe Norbourg et plus particulièrement de son principal actionnaire et administrateur, Vincent Lacroix. Au surplus, l'existence de la fraude pouvant avoir un impact sur la fiabilité des soldes des actifs des Fonds et, partant de là, sur la méthode de liquidation retenue, il fallait donc la démontrer. Le Tribunal a cependant indiqué aux parties qu'au moment où cette requête a été plaidée, qu'il n'en avait aucune connaissance judiciaire et que la fraude en question ne pouvait ni s'inférer, ni se présumer[10].

[45] Pour les seules fins de la présente requête les parties impliquées ont choisi de convenir que les faits énoncés à l'affidavit souscrit par le Sergent Luc Montmarquette de la Gendarmerie Royale du Canada, daté du 25 août 2005 et ayant servi à l'émission du mandat de perquisition en l'instance, peuvent être tenus pour avérés. Cet affidavit de 32 pages donne un portrait global des agissements allégués à l'encontre du Groupe Norbourg et de ses principaux dirigeants. Il a été produit sous la cote D-12. Parmi la multitude de renseignements que l'on y retrouve, on retient ce qui suit:

a) La fraude a été dénoncée aux autorités policières (GRC) et réglementaires (AMF) à compter du 21 juin 2005. Le principal dénonciateur est monsieur Éric Asselin, un ancien employé du Groupe Norbourg depuis mars 2002. Les dires de monsieur Asselin sont appuyés et corroborés par monsieur Jean Hébert, qui s'est joint au Groupe Norbourg à compter d'octobre 2004.

b) La fraude a vraisemblablement été l'œuvre de Vincent Lacroix, alors actionnaire majoritaire du Groupe Norbourg ainsi que d'un certain nombre de ses acolytes et collaborateurs.

c) Les actes frauduleux allégués par Éric Asselin se résument ainsi:

i) Vincent Lacroix aurait utilisé l'actif des divers Fonds par des prélèvements non‑autorisés et aurait masqué ces prélèvements par la préparation et l'utilisation de faux documents (voir paragraphe 43 de la pièce D-12);

ii) deux stratagèmes auraient été utilisés pour arriver à ces fins: un premier aurait consisté en la fabrication de faux documents pour inciter les investisseurs à déposer leurs avoirs auprès du Groupe Norbourg et un second aurait consisté en la fabrication de faux rapports du Gardien de valeurs Northern Trust afin de cacher aux investisseurs la disparition ou le détournement des actifs des Fonds proprement dits (paragraphe 48 de la pièce D‑12). Ces deux modus operandi seraient en vigueur depuis 2002;

iii) la falsification de faux documents a notamment permis de faire croire que les Fonds du Groupe Norbourg avaient un rendement plus élevé qu'ils ne généraient en réalité. De tels documents pouvaient par exemple convaincre un investisseur d'investir de nouveaux capitaux dans l'un ou l'autre des Fonds;

iv) la falsification de certains documents a aussi eu pour effet de camoufler des pertes de Norbourg Gestion d'Actifs Inc. (NGA) en des revenus de recherche et de gestion d'actifs, évitant par le fait même des vérifications trop poussées de la part des autorités réglementaires (paragraphe 49 et suivants de la pièce D-12) alors que NGA ne montrait pas un bilan très positif (voir paragraphe 58 à 72 de la pièce D‑12);

v) plus spécifiquement, Lacroix et ses acolytes auraient, au cours des années 2002, 2003 et 2004 augmenté artificiellement les revenus de NGA et d'autres sociétés du Groupe Norbourg afin de représenter aux autorités réglementaires (Commission des Valeurs mobilières du Québec, puis Autorité des Marchés financiers) une image de santé financière et de profitabilité évitant ainsi d'avoir à fournir des bilans déficitaires;

vi) quant au stratagème de falsification des rapports de Northern Trust, il aurait été mis en place pour "valider" les rapports financiers "maison" utilisés par Lacroix et ses acolytes auprès des clients-investisseurs des Fonds (paragraphe 85 et suivants de la pièce D‑12). Or, les rapports de Northern Trust étant quotidiens, il a fallu mettre sur pied une organisation parallèle ayant pour principale fonction de produire de faux rapports informatisés. C'était là semble-t-il le travail de monsieur Félicien Souka, opérant avec une équipe d'informaticiens du 69, avenue Jacques à Candiac (paragraphes 98 et suivants de la pièce D‑1/2);

vii) l'affidavit de Éric Asselin fait aussi état de pratiques commerciales douteuses de la part de Vincent Lacroix. Ainsi, ce dernier aurait, dans le but de maximiser les revenus des sociétés du Groupe Norbourg, promis des bonus aussi alléchants qu'illégaux à certains représentants pour qu'ils se joignent à Norbourg et y amènent leur clientèle à investir massivement dans les fonds Norbourg;

viii) par les stratagèmes ci-haut décrits, les fonds Norbourg auraient été surévalués jusqu'à hauteur de 11,833,772.11$ au 30 juin 2003 et à hauteur de 89,660,768.53$ au 30 juin 2004 (paragraphe 160 de la pièce D‑12).

d) La preuve a révélé qu'au 31 juillet 2005, lors de la perquisition, l'écart entre les fonds sous gestion auprès de Northern Trust et les données du système interne du Groupe Norbourg démontraient un écart de 130,115,000$[11].



[46] Le Tribunal constate de ce qui précède que les divers actes frauduleux reprochés à Vincent Lacroix et à ses acolytes portent principalement, sinon exclusivement, sur les actifs des Fonds et non sur la constitution ou la mise en place de ces mêmes Fonds. Aucune preuve n'a été faite visant à suggérer que les Fonds ont été constitués dans un quelconque but de fraude. La preuve de la fraude porte donc uniquement sur les manipulations qui Vincent Lacroix et ses acolytes ont pu effectuer afin de détourner à leur profit les actifs déposés dans les Fonds en question.

[47] Il faudra donc tenir compte du fait que les Fonds ont été légalement constitués, dans un but licite. Il ne saurait donc être question d'annuler les structures juridiques des Fonds sur la seule base de la maxime Fraus omnia corrumpit.

[48] Le témoignage de monsieur Michel Martin vient d'ailleurs conformer ce constat.

[49] La suite de la preuve se divise en deux grands volets.

[50] Dans un premier volet, monsieur Michel Martin, ancien employé de Norbourg a expliqué comment les Fonds ont été administrés et comment, après le 25 août 2005 il a pu, avec son équipe, valider les soldes des actifs restants dans les vingt-sept des vingt-neuf Fonds à liquider. Monsieur Martin est en effet d'avis que les soldes en question sont à la fois fiables et non‑pollués ou contaminés par des transactions inappropriées pouvant faire en sorte que la propriété desdits soldes puisse être mise en question.

[51] Monsieur Martin Franco, syndic de Faillite chez Ernst & Young agissant à titre d'administrateur provisoire des principales sociétés du Groupe Norbourg, a pris possession des actifs desdites sociétés et a, de par ses propres observations et analyses, pu corroborer les dires de monsieur Michel Martin. Le témoignage de monsieur Franco a aussi porté sur la façon dont les argents et les valeurs transitaient du client‑investisseur à son courtier, du courtier à Norbourg et de Norbourg au gardien de valeurs, avec, en intercalaire, l'émission de parts ou d'unités correspondantes au client‑investisseur. Ces parts ou unités étaient alors émises en fonction d'une valeur liquidative des parts établie quotidiennement (net asset value per share). En divisant le montant total de l'investissement d'un client‑investisseur par la valeur liquidative des parts d'un Fonds donné, on détermine le nombre de parts attribuable ou attribué à chaque client‑investisseur lors d'une transaction donnée.

[52] Le second volet de la preuve porte sur la constitution des Fonds. Il est admis que les Fonds ont été constitués en fiducie de placement (ou fonds communs de placement) soit en vertu du droit ontarien (Common Law Trusts ou "CLT") soit en vertu du droit québécois.

[53] Le régime juridique propre à chacun de ces types de Fonds, notamment quant à l'effet d'une fraude sur les actifs desdits Fonds a donc été analysé afin de fournir au Tribunal les éléments nécessaires au choix de méthode de distribution le plus adéquat, tant sur les plans factuels que juridique, compte tenu de l'ensemble des circonstances.

[54] Le Tribunal se propose donc de revoir la preuve factuelle relative au traitement des sommes confiées au Groupe Norbourg et investies dans les divers Fonds pour ensuite analyser les deux régimes juridiques sous l'empire desquels les Fonds sont constitués ainsi que les règles juridiques auxquelles ils obéissent lorsque l'on se retrouve en situation de distribution forcée d'actifs suite à la déconfiture commerciale des Fonds causée par la mauvaise administration, l'incurie ou la fraude des gérants ou fiduciaires de tels Fonds.

[55] En fonction de cette analyse, le Tribunal décidera, en fin de compte, de la méthode de distribution applicable en l'espèce.

LE TÉMOIGNAGE DE MONSIEUR MICHEL MARTIN

[56] Monsieur Martin a été le directeur, administrateur et conformité pour les Fonds Norbourg et Évolution.

[57] Sa fonction était de nature opérationnelle. Son service s'occupait de recevoir les fonds des investisseurs et de les faire parvenir chez le gardien de valeurs. De plus son service s'occupait d'administrer la cote qui donnait, quotidiennement, une valeur à chacune des unités de chacun des Fonds[12]. Finalement, il était responsable de la gestion des sorties de liquidités des Fonds.

[58] Un deuxième module administratif s'occupait des placements proprement dits (vente de valeurs, rendements, etc.).

[59] Tant dans les Fonds Norbourg que dans les Fonds Évolution, les transactions se font essentiellement par l'entremise d'un courtier. Une commande passée par un courtier, au nom et pour le compte d'un client, doit donc se concrétiser par la réception des liquidités correspondantes, soit électroniquement, soit par chèque au plus tard à la date de règlement de la transaction, sinon la transaction est automatiquement renversée. Ainsi, aucune transaction, dans un Fonds donné, n'est comptabilisée sans que le service de monsieur Martin n'ait effectivement reçu les argents requis.

[60] Monsieur Martin explique que les fonds reçus de courtiers (pour le compte de leurs clients) étaient systématiquement déposés dans deux comptes en fiducie chez Norbourg: un compte en dollars canadiens et un autre en dollars américains. À la date de règlement d'une transaction donnée, les argents étaient alors transférés du compte en fiducie de Norbourg au compte du gardien des valeurs qui voyait alors à acheminer lesdits argents vers le bon Fonds d'investissement.

[61] Dans le cas d'une commande de vente des unités d'un Fonds donné, le processus est inversé. Le client donne ses instructions à son courtier qui les relaie au service de monsieur Martin, qui à son tour, communique avec le gardien des valeurs. À la date de règlement de la transaction de vente, le gardien des valeurs aura récupéré les sommes requises du Fonds particulier dont les unités sont vendues (soit en utilisant les liquidités du fonds ou en vendant des valeurs) pour ensuite les acheminer dans le compte en fiducie de Norbourg, qui finalement, effectue le paiement au client, soit par chèque soit par virement bancaire.

[62] Chaque transaction (vente ou achat) est toujours identifiée à un Fonds d'investissement particulier et vise un nombre d'unités de ce fonds. Chaque transaction est concrétisée à une date précise, appelée la date de règlement et une confirmation est envoyée au client l'informant exactement du nombre d'unités transigées, de quel Fonds il s'agit, de la valeur de chacune des unités achetées ou vendues et du montant total de la transaction.

[63] Par la suite les liquidités sont transférées chez Northern Trust (gardien des valeurs) qui traite, ces mêmes liquidités, en tout temps identifiables et "marquées" au bénéfice d'un Fonds donné.

[64] Parallèlement, chaque Fonds d'investissement, bénéficie d'une comptabilité spécifique où l'on retrouvera les valeurs détenues par chacun des Fonds et les liquidités propres à chacun de ces mêmes Fonds. Chez Norbourg, ces données sont comptabilisées dans le système "Octans". Chez Northern Trust ces données sont comptabilisées dans un système qui est propre au gardien de valeurs et qui est totalement indépendant du système Octans.

[65] On ne retrouve cependant que des entrées comptables dans les registres de Northern Trust. Il n'existe pas de compte bancaire spécifique dans lequel on retrouvera les liquidités ou autres actifs propres à tel ou tel Fonds. Ces liquidités demeurent dans un compte en fidéicommis et ce sont les registres comptables qui établissent l'identification et la propriété des actifs liquides appartenant à tel ou tel Fonds d'investissement.

[66] Même chose pour les valeurs. Il n'existe pas de dossier physique où l'on retrouve les titres de chacune des fonds d'investissement. Les titres sont détenus par le gardien des valeurs en son nom (Northern Trust) et sont attribués à chacune des fiducies par entrées comptables dans des registres appropriés.

[67] Ce système, en l'absence d'ingérence dans la comptabilité, la tenue de livres et les registres, assure un suivi complet et parfait des liquidités et des valeurs pour chaque fonds d'investissement. C'est ce que l'on appelle en anglais un "complete traceability".

[68] Monsieur Martin travaillait avec le système Octans. Il n'avait pour fins de comparaison, que les états de compte de Northern Trust qu'on lui fournissait, non pas directement de chez Northern Trust directement mais d'un autre département au sein du Groupe Norbourg. Or, ces états de compte étaient falsifiés.

[69] Au cours des quatre derniers mois (août à novembre 2005), monsieur Michel Martin et son équipe ont constaté qu'il y avait une différence entre les registres de Northern Trust et de Norbourg et qu'il manquait des fonds. Son travail a donc été de concilier les entrées et les sorties de fonds et de vérifier tous les comptes afin d'identifier les sorties de fonds irrégulières. Le résultat de son travail est la pièce P-17.

[70] P-17 a comme point de départ le système interne de Norbourg (Octans), dont les données ont, dans un premier temps, été comparés aux données correspondantes de Northern Trust. Les différences ont été notées et chaque différence a été identifiée à une transaction dite irrégulière.

[71] Une transaction irrégulière, pour le témoin Martin c'est une transaction inscrite dans les registres de Northern Trust et qui n'apparaît pas dans les registres de Norbourg ou encore une transaction qui a été faite hors le cours normal de ce genre de transaction. Ainsi, certaines transactions irrégulières pourront être expliquées et "régularisées". D'autres seront identifiées comme carrément illégales.

[72] La présente requête vise un total de 29 Fonds dont, en réalité seulement 27 ont fait l'objet de transactions. Les Fonds dits REA (Fonds Leaders Mondiaux RER et Fonds Américains RER) sont des Fonds dont les transactions sont sans objet ou inexistantes.

[73] Une brève analyse de la pièce P-17 démontre en effet que la presque totalité des 27 Fonds visés par la présente requête ont été affectés, mais à des degrés variables, par des transactions irrégulières. Seulement 3 fonds ne semblent pas affectés (fonds EVO‑88, VIB-01 et VEG-01). Par contre, la comptabilité des transactions irrégulières a pu être vérifiée de telle sorte que l'on sait où, quand et comment les mouvements de liquidités ont été effectués dans les divers Fonds.

[74] À une série de questions du Tribunal, le témoin Martin a répondu ce qui suit[13]:





Q.


LA COUR:



Donc, pour l'année deux mille cinq (2005), pour le fonds, EVO-01, il y a eu un retrait global net de deux millions six cent vingt-six mille quatre cent vingt-cinq et six (2, 626,425.06$).



R.




C'est bien ça, monsieur le juge.



Q.




Et là vous allez m'expliquer si vous le savez, où est-ce qu'est allé ce deux point six millions‑là (2.6 M)?



R.




En fait …



Q.




Non, c'est une question que je pose mais, parce qu'il y a peut-être d'autre (inaudible) dans la salle …



R.




En fait c'est ça je pense que tout le monde voudrait savoir. En fait, oui, on sait, - parce que il faut comprendre qu'il y a différentes entités dans l'encaisse sur les fonds Norbourg et Évolution. Donc, mon travail était de savoir, - de relever ce que pouvaient être les écritures non conformes ou régulières, si on veut.



(Soulignements ajoutés)







[75] Malgré les importantes et nombreuses transactions irrégulières survenues dans divers fonds au cours des années 2002, 2003, 2004 et 2005 (voir les sommaires desdites transactions au bas des pages 2, 4, 6, 8, 9 et 10 de la pièce P-17) monsieur Martin identifie une dizaine de Fonds où il reste des actifs pouvant faire l'objet de distribution. Les soldes de ces Fonds sont, selon lui, parfaitement justifiables. En d'autres termes, même si ces Fonds ont pu subir des transactions dites irrégulières, ces transactions ont pu être expliquées de telle sorte que les soldes en question représentent un reliquat appartenant exclusivement aux détenteurs d'unités de chacun desdits Fonds.

[76] Sur ce dernier point, son raisonnement est le suivant[14]: Partant du rapport du Liquidateur[15] du 2 décembre 2005, monsieur Martin identifie dix Fonds dans lesquels on retrouve, en date du 31 juillet 2005, un pourcentage significatif d'actifs en main[16]. Quant aux autres Fonds le même pourcentage d'actifs encore présents est soit inexistant, soit non significatif (tant en termes de pourcentage qu'en termes de sommes d'argent). À ces dis Fonds identifiés par monsieur Martin on peut en ajouter un onzième (Fonds Évolution Américain), dont le pourcentage d'actifs en main par rapport à ce que l'on aurait dû y trouver est de l'ordre de 58%. Ces onze Fonds dans lesquels on retrouve un pourcentage d'actifs ou un montant d'argent suffisant pour effectuer une distribution sont les suivants:




ACTIFS EN MAIN

FONDS


EN $


EN %



A) Fonds Norbourg



International

Marché monétaire

Emergence croissance

Tactique



B) Fonds Évolution



REA

Américain



C) Fonds Perfolio



Revenu diversifié (EV080)

Croissance mondiale (EV086)

Équilibré (EV082)

Croissance (EV084)

Secteurs d'avenir mondiaux (EV088)








906,000$

1,024,000$

2,164,000$

686,000$







7,767,000$

281,000$







4,241,000$

13,940,000$

27,791,000$

14,601,000$

383,000$








100%

101%

100%

78%







51%

58%







77%

90%

66%

75%

103%





[77] Ce tableau indique qu'au 31 juillet 2005, 73,784,000$ des 75,111,000$ (i.e. 98.23%) encore investis dans les 27 Fonds du Groupe Norbourg se retrouvent dans ces Fonds où le pourcentage d'actifs en main est en moyenne de l'ordre de 71%.

[78] Si l'on reprend l'analyse de la pièce P-17 en fonction de ce qui précède, monsieur Martin précise que pour les dix Fonds qu'il a lui-même identifiés (après avoir fait la corrélation avec l'identité nominative des Fonds et leur numéro de code correspondant[17]) il n'y a eu aucune transaction irrégulière dont l'effet aurait été de créditer à ces Fonds des sommes d'argent provenant de, ou destinées à, d'autres Fonds[18]:





Q.


ME MARC DUCHESNE:

Alors en deux mille cinq (2005), les quatre (4) pages, pour certaines de haut en bas et d'autres, de droite à gauche, vous avez la ligne du haut qui identifie les fonds. Alors si on regarde notre légende à P-13, je comprends que le fonds Évolution RÉA, c'est EVO-60, que j'encercle sur mon, - mon tableau. Ensuite, j'ai EVO-69 pour les émissions, sélections SUB. Excusez-moi, pardon. EVO‑80 pour l'évolution per folio (inaudible). J'ai ensuite EVO-82 pour per folio équilibré. J'ai EVO-86 pour per folio mondial. J'ai EVO-88 pour évolution d'actions d'actifs (inaudible) mondiaux. Ensuite, dans les Norbourg j'ai le UIB‑01 pour Norbourg placements internationaux. J'ai le USG-01 pour Norbourg société émergence croissance. Le UCP-01 pour Norbourg (inaudible) pour et finalement le UM-001 ou UMO-01 (inaufible) pour Norbourg marchés monétaires.

Si je prends l'année deux mille cinq (2005) pour les fonds que j'ai encerclés, qui sont les dix (10) mentionnés qui composent le quatre-vingt-dix-huit pour cent (98%) des fonds, moi, à votre analyse est-ce qu'on retrouve des crédits dans les colonnes afférentes à chacun de ces fonds pour deux mille cinq (2005)?



R.




Non, on trouve pas de crédits à chacun de ces fonds.



Q.




Alors s'il n'y a pas de crédits qu'est-ce que ça signifie, monsieur Martin?



R.




Ça veut dire qu'il y a pas eu d'apport (inaudible) d'un autre fonds ou d'un apport quelconque autre que mes clients qui ont participé (inaudible).



Q.




Si maintenant je fais le même exercice pour l'année deux mille quatre (2004), quelles constatations est-ce que je vais en tirer?



R.




À certains de ces fonds vous allez voir qu'il y a aucune, - qu'il y a aucune écriture où, - alors il y a aucun, - aucun (inaudible), il y a absolument aucune écriture qui ont été effectuées dans ces fonds-là parce qu'ils avaient pas été touchés non plus en deux mille quatre (2004).



Q.




Donc, si je reprends votre témoignage, il y a pas d'apport de fonds d'un autre fonds dans ces fonds-là …



R.




Absolument.



Q.




… d'après votre analyse deux mille quatre (2004)?



R.




Absolument. On remarque que le total de la colonne donne zéro (0), donc il y avait aucun retrait et aucun apport.



(Soulignements ajoutés)



[79] Monsieur Martin précisera plus loin dans son témoignage que l'on peut retrouver certains crédits ou apports dans les Fonds analysés mais ces mêmes crédits sont, après vérification, effectivement destinés aux fonds en question[19]. Ce sont des transactions irrégulières, en ce qu'elles n'ont pas été effectuées ou notées de la bonne manière ou au bon moment, mais ce ne sont pas des transactions illégales ou frauduleuses:

R.


C'est un rapport (inaudible) le client, ça, avec un montant arrondi qui a été envoyé chez le gardien de valeurs. Donc, l'argent, - c'est l'argent des clients qui était le compte en fidéicommis qui peut correspondre à, - à une (1) semaine d'activités, qui a été transféré chez le gardien de valeurs. Donc c'est, - c'est une bonne écriture, selon ma définition, mai qui est hors, - alors, qui est hors norme, si on veut, des procédés habituels (inaudible) ponctuelle.



(Soulignements ajoutés)





[80] Monsieur Martin réaffirme que pour les dix Fonds qu'il a retenus, aucune des transactions se traduisant par des crédits ne sont le résultat de transferts irréguliers ou inexpliqués provenant d'autres Fonds. Toutes les entrées de capitaux pour toutes les années pertinentes sont le résultat de transactions de valeurs mobilières (par exemple la liquidation d'un actif) ou d'achat de parts[20]. Quant aux débits ou extraits de ces mêmes Fonds, certains sont irréguliers et inexpliqués et ont eu pour effet de réduire la valeur des actifs en main desdits Fonds. Un tel scénario n'affecte pas, selon le témoin, la fiabilité des soldes de ces mêmes Fonds: ce qui en reste n'est, somme toute, que le reliquat des actifs des détenteurs de parts de ce même Fonds et ce reliquat leur appartient en propre.

[81] Ainsi, sauf pour des corrections de l'ordre de 264,000$ (pièce P-6 paragraphe 56) où le Liquidateur demande de renverser certaines transactions monsieur Martin est d'opinion que les soldes des dix Fonds qu'il a considérés, représentent des montants dont la propriété ne fait aucun doute: il s'agit de sommes d'argent appartenant indubitablement aux détenteurs de parts des dix Fonds en question. Il ne saurait donc être question, pour lui, de regrouper ces sommes d'argent en un nouveau patrimoine d'affectation où tous les autres détenteurs de parts de tous les autres Fonds pourraient être appelés à participer.

[82] En contre‑interogatoire monsieur Martin reconnaît qu'il n'existe pas de compte bancaire séparé pour chacune des Fonds. Plutôt, on disposait d'un seul compte en fidéicommis (en dollars US et en dollars CND) par famille de fonds dans lequel l'ensemble des liquidités devait se retrouver, ainsi qu'un registre pour chacun des Fonds permettant d'attribuer toutes les liquidités à tous les fonds auxquels elles étaient destinées.

[83] Monsieur Martin précise cependant que cette manière de faire, c'est-à-dire l'utilisation d'un seul compte en fidéicommis (divisé en dollars canadiens et en dollars américains) jumelé à une série de registres propres à chacun des Fonds communs de placement) est la norme auprès de toutes les compagnies de fiducie oeuvrant dans le domaine de la gestion d'actifs. Cette manière de faire permet de faire un suivi adéquat et un retraçage approprié de toutes les sommes investies ou retirées par les clients‑investisseurs dans un Fonds donné.

[84] C'est le cas à la fois chez Norbourg et chez Northern Trust.

[85] Monsieur Martin précise que 191 transactions notées au tableau P-18 représentant des transferts dits irréguliers ont eu pour effet de déplacer entre 10 et 12 millions de dollars de capitaux. Par contre, il faut se rappeler que toutes les transactions irrégulières ne représentent pas des transactions frauduleuses ou même simplement illégales. Elles représentent des transactions qui ont été inscrites de façon irrégulière mais parfois tout à fait explicables.

[86] En nombre, les 191 transactions irrégulières représentent 0.16% des 119,648 transactions inscrites au cours de la même période.

[87] En valeur, monsieur Martin parle de 10 à 12 millions sur un milliard, donc une proportion de 1.2%.

[88] Dans les deux cas ces proportions seront-elles significatives pour créer un doute sérieux quant à la fiabilité des soldes des vingt sept Fonds à liquider?







Q.


ME MARC DUCHESNE:



Monsieur Martin, pour bien comprendre, ce qu'on avait com …, - on avait eu ce matin, c'est pour les fonds, les dix (10) fonds de (inaudible) qui ont été pris ou presque pas touchés, si j'ai bien compris votre témoignage de ce matin c'est que votre tableau et votre analyse de transactions révèlent que il y a pas de fonds, de d'autres fonds qui sont allés renflouer ces fonds-là.



R.




Si on parle des fonds, - des dix (10) fonds qu'on a identifiés.



Q.




Exact.



R.




Ces fonds. – mettons qu'on les appellerait les fonds riches, là, si on veut, O.K., parce qu'on, - je pense qu'ils font quatre-vingt‑dix‑huit pour cent (98%) de soixante-quinze millions (75 M) qui restent.







Q.




LA COUR:



Vous serez pas le premier (1er) à utiliser ce qualificatif-là pour ces fonds-là.



R.




Bien, je l'aime pas ce qualificatif-là, un fonds riche.



Q.




Non, mais vous êtes pas le premier (1er) à utiliser (inaudible) …



R.




Mais votre point de discussion on dit les fonds riches. Les fonds riches ne se sont pas enrichis par rapport aux, - sur le dos des autres fonds, si on veut. L'argent qu'ils ont dans leurs comptes c'est leur argent à ces fonds-là.







Q.




ME MARC DUCHESNE:



Alors, il y a pas de question d'après votre analyse, qu'il s'agit,- que ces argents-là proviennent d'achats d'unités pour ces fonds-là, point c'est tout?



R.




En date d'aujourd'hui je suis capable de dire que ces fonds-là ont pas profité de l'argent des fonds qui sont déficitaires comme mes chiffres le prouvent.



Q.




Par contre, ils ont été victimes de ponctions?



R.




Ils ont été victimes, dans certains cas, de ponctions[21].



(Soulignements ajoutés)



[89] Le témoignage de monsieur Martin confirme que malgré les ponctions effectuées par Vincent Lacroix et d'autres personnes de son groupe dans les divers Fonds auxquels il a eu accès et, malgré les divers transferts d'un Fonds à un autre pour couvrir soit des découverts soit permettre que certains investisseurs puissent liquider leurs parts, monsieur Martin est d'avis que les soldes d'actifs apparaissant aux registres du Trust La Laurentienne dans le cas des onze Fonds apparaissant au tableau du paragraphe 53 sont véritablement des soldes appartenant aux seuls détenteurs de parts des onze Fonds en question.

[90] Ces faits n'ont pas été contredits par une preuve contraire.

[91] Monsieur Martin a clairement établi la légitimité des transactions de régularisation que l'on retrouve dans la comptabilité des Fonds. De telles transactions de régularisation ne présupposent pas qu'il y ait eu malversation au niveau des soldes des Fonds au point où ces soldes ne puissent légitimement appartenir aux détenteurs de parts desdits Fonds.

[92] Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas eu des transferts ou des retraits frauduleux. Mais un retrait frauduleux n'a pas pour objet ou conséquence de polluer le solde des actifs d'un Fonds donné. Il n'en a que diminué le montant.

[93] Quant aux transferts frauduleux, la preuve présentée par monsieur Martin lui‑même démontre que ces transferts ont été substantiels: près de 13,500,000$ ont ainsi illégalement transité d'un Fonds à un autre. Voici comment les procureurs du Liquidateur traitent de cette question:

20. Il s'agit de transferts de fonds d'un Fonds à un autre Fonds, non autorisé par un détenteur d'unités. Le montant global de ces transferts est en réalité 13,500,000$, tel qu'il apparaît de la pièce P-18, préparée par M. Michel Martin après son témoignage (et non pas 10,000,000$, tel que mentionnée originairement par M. Martin);



21. Ces transferts de fonds illégitimes représentent environ 10% du montant global de la fraude qui s'élève à 130,000,000$;



22. Il est important de noter que de ce 13,500,000$ sorti de certains Fonds et entré dans d'autres, il n'y a aucune somme qui a été transférée dans les Fonds qui contiennent aujourd'hui plus de 98.75% des fonds à distribuer soit les Fonds Évolution Réa (EVO 60), Fonds Évolution Perfolio Revenus Diversifiés (EVO 80), Fonds Évolution Perfolio Équilibré (EVO 82), Fonds Évolution Perfolio Croissance Canadienne (EVO 84), Fonds Évolution Perfolio Croissance Mondiale (EVO 86), Fonds Évolution Gestion d'Actifs secteurs d'Avenir Mondial (EVO 88), Norbourg International (UIB 01), Norbourg Croissance émergente (UEG 01), Norbourg Répartition Tactique (UCT 01) et Norbourg Marché Monétaire (UMO 01) (ci-après collectivement les "Fonds Moins Affectés"). En effet, ces derniers ont subi des ponctions mais n'ont reçu aucune somme d'argent en provenance des autres Fonds, hormis deux (2) sommes relativement minimes et le montant de 264,683$ qui fait l'objet de la demande de renversement du Liquidateur mentionnnée au paragraphes 55 à 58 de la Requête;



23. En conséquence, aucun des Fonds Moins Affectés ne s'est enrichi aux dépens d'autre Fonds.[22]



(Soulignements ajoutés)



[94] Un examen attentif du Rapport du Liquidateur du 2 décembre 2005 (pièce P-6) de la pièce P-17 (analyse des transactions irrégulières) et de la pièce P-18, convainquent le Tribunal de la justesse de ces informations.

[95] Au cours de son délibéré, le soussigné a procédé à sa propre analyse des pièces et des chiffres y apparaissant afin de s'assurer de bien comprendre les diverses entrées qu'on y retrouvait. Face à certaines variations de montants d'une pièce à l'autre relativement à la valeur de certains actifs à certaines dates, le soussigné s'est posé certaines questions.

[96] Ces questionnements portaient essentiellement sur la façon de lire et de comprendre le contenu de ces pièces. Le soussigné a donc convoqué une conférence téléphonique à laquelle tous les procureurs ont participé. Cette conférence a s'est tenue le 21 avril 2006 et a donné lieu à la communication d'une lettre datée du 10 mai 2006 dont le contenu fait l'unanimité auprès des procureurs. Cette lettre mérite qu'on la reproduise in extenso étant donné qu'elle n'a pas été mise en preuve à l'audition mais qu'elle fait dorénavant partie de la preuve:







Le 10 mai 2006



Monsieur le Juge Robert Mongeon, J.C.S.

Cour Supérieure

Palais de Justice de Montréal

1 est rue Notre-Dame

Cabinet 12.56

Montréal (Québec) H2Y 1B6





Objet: Dossier Norbourg

Réponses aux questions relatives

aux pièces P-6 et P-17

N dossier: 246091-000031



_________________________________________



Monsieur Le Juge,



Faisant suite à la conférence téléphonique du 21 avril dernier, nous vous fournissons ci-après les explications et réponses aux deux questions que vous nous avez alors posées, à savoir:



A) Comment concilier/expliquer la différence entre le total des Fonds Norbourg et Évolution selon Northern Trust (75 111 000$) apparaissant dans le tableau de la page 4 du Rapport du Liquidateur, la pièce P-6 (ci‑après "le Tableau de P-6") et le total desdits Fonds (89 927 072$) indiqué dans la pièce P-17 en date du 24 août 2005 (page 3 de P-17)?



Réponse:



La pièce P-17 inclut la valeur théorique des Fonds Norbourg détenus par les Fonds Perfolio (identifiés dans P-17 comme EVO 80, EVO 82, EVO 84 et EVO 86) dont la valeur totale au 25 août 2005 était d'environ 15 001 882$ tel qu'établi à la pièce P-24, alors que la valeur totale des Fonds au montant de 75 111 000$ apparaissant au Tableau de P-6, tout en étant basée sur les valeurs fournies par Northern Trust, a été ajustée pour tenir compte des valeurs réelles (et non des valeurs théoriques) des parts détenues par les Fonds Perfolio dans les Fonds Norbourg.



D'ailleurs, la Note 2 de la pièce P-24 reflète le témoignage du M. Martin Franco (donné devant la Cour le 1er février 2006 à l'occasion d'explications fournies sur ladite pièce), à l'effet que pour refléter la réelle valeur des actifs détenus par Northern Trust, il fallait éliminer à même les valeurs indiquées par Northern Trust dans ses états de compte, la valeur théorique des parts détenues par les Fonds Perfolio dans les Fonds Norbourg. C'est ce qui explique et justifie l'ajustement de 15 001 882$ apparaissant au milieu de la troisième colonne de la Pièce P‑24 (copie de la première page de cette pièce, ci-jointe pour référence facile), et dans la conciliation ci-jointe comme Annexe "A", ajustement qui est aussi expliqué à la Note 3 de cette Annexe.



Par ailleurs, après vérification avec M. Michel Martin, il appert que le chiffre de 89 927 072$ indiqué à P-17 en date du 24 août 2005 inclut non seulement les avoirs détenus et indiqués par Northern Trust au 24 août 2005, mais aussi le produit de certaines des dernières transactions d'achat (pour lesquelles des parts ont été émises) encore au crédit dans le compte en fidéicommis du registraire Fonds Évolution Inc., tel qu'expliqué à la note 1 de l'Annexe "A", et ce, parce que le système interne Octans fonctionne selon les dates de transactions, alors que les entrées chez Northern Trust ne sont effectuées qu'à la date de règlement. En effet, le produit de ces dernières transactions totalisant 2 146 778$, était resté dans le compte en fidéicommis de Fonds Évolution Inc. et n'avait donc pas été transféré à Northern Trust, en raison des événements du 25 août 2005. En conséquence, les ajustements correspondant à la Note 1 de l'Annexe "A", ont dû être faits, de même qu'un ajustement additionnel de 17 152$ expliqué à la Note 2 de cette Annexe, en raison de valeurs prises à des dates différentes.



La conciliation (Annexe "A") rétablit donc à 72 761 260$ la valeur réelle des Fonds chez Northern Trust au 25 août 2005.



Quant à la différence entre 75 111 000$ (valeur ajustée au 31 juillet 2005) et 72 761 260$ (valeur ajustée au 25 août 2005), elle s'explique de la façon suivante selon une analyse sommaire effectuée par M. M. Franco:



Valeur ajustée des Fonds au 31 juillet 2005, selon le Tableau de P 6:


75 111 00$

plus:

· contributions légitimes retracées aux états de comptes Northern Trust par M. Martin Franco entre le 31 juillet et le 25 août 2005:








2 384 000$

moins:

· retraits légitimes durant cette période:




(4 002 000$)

· ponction illégitimes du 15 août 2005 (voir P-17):


(300 000$)

· rendements négatifs et dépenses et frais divers durant cette période:




(378 000$)

· ajustements de solde d'ouverture:


( 54 000$)






Valeur ajustée des Fonds au 25 août 2005


72 761 000$








B) Que représentent dans la pièce P-17 pour l'année 2004 les sommes apparaissant comme crédits pour les Fonds EVO 80 (Évolution Perfolio revenu Diversifié), EVO 82 (Évolution Perfolio Équilibré), EVO 84 (Évolution Perfolio Croissance) et EVO 86 (Évolution Perfolio Mondial)?



Réponse:



Tel que l'a expliqué M. Michel Martin lors de son témoignage du 12 janvier 2006 (transcription, pages 47 à 52), ces crédits sont des ajustements d'écriture ou des régularisations de trésorerie correspondant au produit d'achats de parts dans ces Fonds, payés par des investisseurs et accumulés dans le compte "In Trust" du registraire (Fonds Évolution Inc.), et qui se devaient donc d'être légitimement crédités aux Fonds en question.



Les écritures représentent donc des régularisations de trésorerie reflétant des crédits légitimes dans lesdits Fonds en fonction des commandes d'achat réellement passées par des investisseurs (car vérifiés comme réelles et légitimes selon les informations obtenues de Citac-Felcom (ancien registraire)) dans les semaines ou mois précédents, alors que ces cérdits auraient dus être quotidiennement, au fur et à mesure de ces achats.



Nous espérons que les explications qui procèdent et auxquelles Me Jean Fontaine et Me Bertrand Giroux souscrivent, constituent des réponses adéquates à vos questions.



Si toutefois tel n'était pas le cas, veuillez ne pas hésiter à communiquer avec nous.



Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Juge, l'expression de nos sentiments distingués.



BORDEN LADNER GERVAIS s.r.l.



Marc Duchesne



c.c. Me Jean Fontaine

Me Philippe Buist

Me Bertrand Giroux

M. Martin Franco

M. Michel Martin

M. Pierre Laporte



ANNEXE "A"



Fonds Évolution – Perfolio – Norbourg

Conciliation entre valeur indiquée en P-17 et valeur indiquée en P-24



Valeur des Fonds au 24 août 2005 selon P-17:


$


$



Ajustements

Perfolio Revenus Diversifiés (Note 1)

Perfolio Équilibré (Note 1)

Norbourg-Croissance Émergentes (Note 2)

Valeur chez Northern Trust au 25 août 2005 selon P-24








-1,002,144

-1,144,634

-1, 152






89,927,072





02,163,930





Valeur théorique des Fonds Norbourg détenus par:

Perfolio Revenus Diversifiés (Note 3)

Perfolio Équilibré (Note 3)

Perfolio Croissance Canadienne (Note 3)

Perfolio Croissance Mondiale (Note 3)








- 982,269

-8,977,501

-3,863,114

-1,178,998


87,763,142











-15,001,882



Valeur chez Northern Trust après ajustement (tel qu'indiqué en D-4)









72,761,260



Notes:

1. Les montants indiqués en P-17 incluent la valeur des parts émises quelques jours avant le 25 août 2005 et ce, même si ces valeurs étaient toujours détenues dans le compte en fiducie de Fonds Évolution Inc. En effet, en raison des évènements du 25 août 2005, le transfert auprès de Northern trust n'a pas pu être effectué.



Cependant, pour fins de conciliation, il était nécessaire pour Monsieur Martin d'inclure ces valeurs dans P-17 afin de concilier les p0arts en circulation et par conséquent, de déterminer si les transactions étaient légitimes ou non.



2. La valeur utilisée par Monsieur Martin en P-17 est au 31 août 2005 que la valeur utilisée par Ernst & Young est au 25 août 2005.



3. Tel qu'expliqué en P-24, ces montants représentent la valeur théorique des parts détenues par le Fonds Perfolio dans les Fonds Norbourg.



[97] En conséquence, et conforté par les dernières explications données dans la lettre du 10 mai 2006 et de son annexe A le Tribunal est d'avis que les soldes des actifs des onze Fonds déjà identifiés comme détenant plus de 98% des sommes pouvant faire l'objet d'un partage, sont bel et bien la propriété de ces mêmes Fonds et que ces soldes ne sont pas pollués par des sommes d'argent, des valeurs ou d'autres actifs provenant d'autres Fonds. Si l'on se fie au témoignage de monsieur Michel Martin, appuyés par les informations additionnelles fournies par monsieur Martin Franco. Ce constat découle de la preuve factuelle et non contredite établie devant le Tribunal.

[98] Mais, ce constat ne suffit pas pour conclure à la bonne méthode de distribution des Fonds.

[99] Dans l'exposé qui suit, le Tribunal entend revoir la structure juridique des divers Fonds et les diverses méthodes et techniques retenues par les tribunaux confrontés à la nécessité de distribuer les actifs de fonds communs de placement similaires, suite à des malversations de la part des gestionnaires ou fiduciaires ou encore suite à la déconfiture commerciale des fonds eux-mêmes ou des entreprises qui les géraient. Cela permettra d'illustrer dans quels cas et pourquoi l'une ou l'autre méthode de distribution des actifs de fonds communs de placement a été retenue.


LA STRUCTURE JURIDIQUE DES FONDS

[100] Nous avons vu que les Fond sont tous constitués en fiducies de placement créées sous l'empire des lois du Québec, soit sous l'empire des lois de l'Ontario.

[101] Quinze des Fonds en question sont des "Common Law Trust" créés et régis par les lois de l'Ontario (les Fonds CLT) alors que douze des Fonds sont des fiducies créées et régies par le Code civil du Québec.

a) Les Common Law Trusts

[102] Une opinion des avocats Arthur I. Fish et Claire Sullivan du cabinet torontois de Borden Ladner Gervais a été produite au dossier et Me Claire Sullivan a livré un témoignage éloquent, articulé et non-contredit sur les caractéristiques juridiques des quinze Common Law Trusts en question. Plus spécifiquement, les avocats Fish et Sullivan avaient à répondre aux questions suivante, posées par le Liquidateur Pierre Laporte[23]:

Me Laporte is of the view that the remaining funds should be distributed on a Fund-by‑Fund basis, i.e. the assets of each Fund will be returned on a proportional basis to the recorded unitholders of that particular Fund based on the total number of units outstanding on August 25, 2005. It is possible that the Court may require the assets to be distributed on some other basis. As such, we have been asked to consider the following issues with respect to the Funds:

(1) Whether under the law on Ontario, the assets of each Fund constitute a Trust such that the assets of each Fund are held for the exclusive interest of the beneficiaries of that Fund, i.e. the unitholers.

(2) If so, whether under the law of Ontario [24] the liquidated assets remaining in each Fund are distributable to the recorded unit holders of that particular Fund, as opposed to aggregating the assets of all the Funds and dividing them proportionally among all the know unitholders of all the Funds.

In our view, an affirmative answer (1) necessarily means that the answer to (2) must also be in the affirmative.

(Soulignements ajoutés)



[103] Dans la mesure où:

a) les actifs des Fonds CLT constitués des investissements des détenteurs de parts de chacun des Fonds CLT n'ont pas été versés dans d'autres Fonds auxquels ils n'étaient pas destinés à l'origine;

b) les actifs des Fonds CLT n'ont pas été confondus (comingled) avec les actifs d'autres Fonds et que les actifs des Fonds CLT sont clairement identifiables;

c) les actifs actuels des Fonds CLT ne proviennent pas d'actifs d'autres Fonds;

d) aucun autre Fonds n'a de réclamation à faire valoir à l'encontre des actifs des Fonds CLT;



les experts Fish et Sullivan sont d'avis que la liquidation des Fonds CLT doit se faire de telle sorte que seuls les détenteurs de parts d'un Fonds CLT donné sont appelés à participer à une distribution (Méthode de Distribution par Fonds).

[104] L'opinion desdits experts repose en effet sur les propositions suivantes:

i) lorsqu'une fiducie de Common Law a été valablement créée et que les actifs de la fiducie sont clairement identifiables, alors indépendamment de la conduite des gestionnaires de cette fiducie, seuls les bénéficiaires détenteurs de parts) ont droit au partage des actifs de ladite fiducie dans un contexte de liquidation;

ii) dans un contexte ou une fiducie de Common Law devient un échec commercial, les tribunaux ont toujours priorisé l'intention des investisseurs lors de leur investissement. Ainsi, si un investisseur décide d'investir dans telle fiducie plutôt qu'une autre, les tribunaux auront tendance à respecter ce choix et à préserver l'intégrité du choix de l'investisseur dans un fiducie donnée;

iii) il incombe à celui qui veut aller à l'encontre des propositions i) et ii) qui précèdent, de convaincre le Tribunal de la justesse de son recours;

iv) dans certains cas isolés, la jurisprudence est allée à l'encontre de ces principes et a plutôt opté pour la mise en commun des actifs de plusieurs fiducies ("pooling") lorsqu'il est apparu que le respect des droits d'un groupe d'investisseurs cause un préjudice injustifié ("unfair préjudice") à un autre groupe, auquel cas l'équité exigeait que l'on procède à une mise en commun des actifs. La même solution devait être envisagée lorsqu'un arrangement particulier avait toutes les apparences d'une fiducie de Common Law mais n'en était pas une ou lorsque l'administration du fiduciaire est à ce point extrême sur le plan négatif que l'on devait alors s'interroger sur la notion même de fiducie en l'espèce ou encore lorsque l'on constate qu'il était impossible de distinguer les actifs d'une fiducie par rapport à une autre avec un degré raisonnable du certitude.



[105] Sur la nature juridique d'un CLT, les experts Fish et Sullivan précisent que[25]:

Unlike the law of Quebec in which the "Trust" is recognized and described in applicable provisions of the Civil Code, the Common Law trust is primarily a creature of judicial decision and well established practice. It is a fiduciary relationship between a trustee who holds property and the persons from whom or the purposes for which the property is being held in accordance with the intention of the person who establishes the trust.



[106] Ils ajoutent:

Notwithstanding that no technical words or expressions are necessary for the creation of a trust in Ontario, a written deed of trust or declaration of trust will evidence the three certainties, in that it will record the intention of the Settlor to establish the trust, it will identify the property which is the subject of the trust, it will identify the beneficiaries of the trust and it will set out the Settlor's intentions with respect to the manner in which the trust property is to be administered, the powers, discretions and authorities of the trustees in administering the trust property and the terms and conditions and proportions interest of the beneficiaries.



In addition, to constitute a trust it is necessary that property actually pass from the hands of the Settlor or Settlors to those of the Trustee. In this respect, the written trust deep or declaration generally confirms that a gift has been made. It was established in Milroy v. Lord (1862), 4 De. G.F. & J. 264è 45 E.R. 1185 (Eng. Ch.) that in determining whether a trust has been completely or incompletely constituted (that is, has a transfer of property to the trustee been effected) a court is to be primarily concerned with the intention of the donor. In that case, Turner, L.J. stated:



I take the law of this Court to be well settled, that, in order to render a voluntary settlement valid and effectual, the settler must have done everything which, according to the nature of the property comprised in the settlement was necessary to be done in order to transfer the property and render the settlement binding upon him. He may of course do this by actually transferring the property to the persons for whom he intends to provide, and the provision will then be effectual, and it will be equally effectual if he transfers the property to a trustee for the purposes of a settlement, or declares that he himself holds it in trust for those purposes …



Each of the relevant Declarations of trust recites that the trust was brought into existence by an initial cash payment to the Trustee from the Settlor to the Trustee and the trustee acknowledges receipt of the monies and issuance of units to the Settlor. Accordingly, each trust was constituted when the initial cash was paid to the trustee and the initial units were issued. Even if the original monies were not actually received by the trustee from the Settlor each trust would have been properly constituted once any Unitholder had subscribed for and paid for units of the Fund.[26]



[107] Lorsqu'il s'agit de liquider un CLT valablement constitué et régulièrement formé, il s'ensuit que la liquidation des actifs d'un tel CLT ne peut faire l'objet que d'une distribution en faveur des détenteurs de parts de ce CLT. Les experts Smith et Sullivan énoncent en effet que:

Given that an Ontario court is likely to conclude that the trusts were regularly established and constituted, it follows that the remaining assets in each Fund would be considered to be held for the excusive benefit of beneficiaries of that particular Fund and hence that the liquidated assets should be distributed only to the beneficiaries (i.e. the recorder Unitholders of such Fund on the relevant date). According to Waters (Waters, Q.C. Waters' Law of Trusts in Canada, 3rd ed. (Thompson Carswell: Toronto, 2005) a beneficiary's exclusive right to enjoyment of a trust fund is an essential feature of the common law trust:



The essential features of a common law trust … are a segregated fund comprising an asset or a number of assets, a person or purpose as the object of the trust with exclusive right to the enjoyment of the fund or its dedication, and a person holding title to the asset or assets held in the trust and in some instances administering or managing the fund.[27]



(Soulignements ajoutés)



[108] Ce n'est qu'exceptionnellement que le CLT ou une famille de CLT sous la gestion d'un même fiduciaire ne fera pas l'objet d'une distribution aux seuls détenteurs de parts d'un CLT donné. Les experts Smith et Sullivan suggèrent alors ce qui suit:

Our conclusion that the assets of each Fund should be distributed in accordance with the relevant Declaration of Trust only to the Unitholders of that particular Fund is, however, subject to the important caveat that there are some cases that appear to depart from the principles on which we have based our conclusions. Based on these cases which are outlined in this memorandum below, and on our conclusions that each Fund was validly established as a common law trust, an Ontario court might be persuaded that a Fund by Fund distribution of assets to the Unitholders of each particular Fund should not take place, notwithstanding the applicable trust terms, if:



· It is impossible to implement the intentions and decisions of one group of investors, without frustrating the intentions or disregarding the decisions made by another group, in which case fairness may require pooling of the assets of the Funds;



· A particular arrangement while constituting a trust, by its nature call for pooling the assets and liabilities; or



· Trustee maladministration may be so extreme that it is unclear whether a particular arrangement constitutes a trust, or it may be certain that a trust exists but it is impossible to identify its assets as distinct from other assets of another trust with any reasonable degree of certainty.



Based on our analysis of the cases as set out below, we are of the view that the first two circumstances as outlined above which would give an Ontario court a reason for requiring the pooling of assets and distribution among Unitholders of all Funds do not apply to the circumstances of this case. Furthermore, if our assumption that the assets of each Fund were not commingled with the assets of any of the other Funds is correct and if the accuracy of the monthly statements of account from Norbourg showing each Unitholder's position in each Fund in which he or she had invested, as well as the net asset value per unit at the end of the month, can be relied on, then the third circumstance as outlined above is also not applicable in this case and an Ontario court will almost certainly conclude that the assets of each Fund should be distributed in accordance with the relevant Declaration of Trust only to the Unitholders of that particular Fund.



In sum, strong authority and well established principle support the proposition that the assets of each particular Fund that is constituted as a common‑law trust subject to the law of Ontario ought to be distributed only among the Unitholders of that particular Fund. [28]



(Soulignement ajoutés)



[109] La Cour supérieure de la Colombie Britannique nous en a donné un bon exemple dans l'affaire Eron Mortgage Corp.[29].

[110] Pendant plusieurs années avant sa déconfiture et la suspension de sa licence, Eron a agi comme courtier en hypothèques, organisant d'importants prêts syndiqués. Eron constituait donc des groupes de prêteurs qui mettaient leurs investissements en commun en vue de constituer un prêt hypothécaire en faveur d'un emprunteur donné, ledit prêt étant garanti par les actifs immobiliers de ce même emprunteur. Chaque prêt était, au surplus, effectué par le biais d'une société numérotée incorporée dans ce seul but. Plus de 4,000 investisseurs ont ainsi investi dans 76 prêts hypothécaires distincts.

[111] Eron offrait donc aux investisseurs des conditions spécifiques d'investissement dans un prêt hypothécaire donné. Les principales conditions rattachées à un investissement étaient énoncées dans un mémoire d'entente (term sheet) et éventuellement une "Declaration of Trust" était envoyée, confirmant que Eron et/ou la compagnie numérotée détenait l'hypothèque non pas pour son bénéfice mais pour le bénéfice des investisseurs dans chacun des prêts syndiqués.

[112] Voici comment les experts Smith et Sullivan résument les faits qui ont conduit à la déconfiture de Eron :

Over time, Eron committed many breaches of trust with respect to the Pooled Trust Account. The breaches occurred shortly after the account was opened in 1993, and included the following misconduct:



a. Most of Eron's loans were non‑performing in the sense that the borrower was not making the stipulated monthly interest payments and Eron made monthly interest payments to the investors from the Pooled Trust Account (i.e., from monies contributed by other investors in respect of other loans);



b. loan advances were made to a borrower before the necessary funds had been collected from the investors in respect of that loan (which meant that the loan was being partially funded with monies contributed by investors in respect of other loans;



c. investors were paid out from monies in the Pooled Trust Account when no replacement investor had been found; and



d. expenses such as brokerage and legal fees, which are normally payable by the borrower, were paid from monies in the Pooled Trust Account.



In addition, the Eron loans were both under funded and over funded. They were under funded in that the amount of the loan advanced to the borrower exceeded the amount collected from investors in respect of that particular loan, with the shortfall made up from monies collected from investors in respect of other loans. They were over funded in that Eron collected more monies from investors in respect of particular loans than they advanced to the borrowers. Eron used these excess funds for other purposes, primarily paying interest to investors on non‑performing loans.[30]



(Soulignements ajoutés)





[113] Le juge Tysoe a néanmoins décidé que la distribution des actifs gérés par Eron et faisant l'objet de "Declarations of Trust" devait se faire en fonction de chacune de ces "Declaration of Trust".

[114] Le juge Tysoe écrit:

The Eron investors choose to invest in the mortgages allocated to them by way of the trust declarations and there is no equitable reason to deprive them of their choices. There are "good" mortgages and "bad" mortgages but the investors were the ones who made the choices to invest in them. There is no reason why they should not enjoy the benefits or bear the adverse consequences of their decisions. The intention of the parties when they entered into the transactions was that the investors would have an interest in the mortgage loan which they selected and that all investors would not stand on the same footing. In this case, equality among the investors would constitute an inequity because it would represent a variation of the contracts and trust arrangements between Eron (or its numbered companies) and the investors without proper justification at law or in equity. [31]



(Soulignements ajoutés)



[115] Les experts Smith et Sullivan concluent ainsi sur l'affaire Eron:



In other words, distribution on a fund-by-fund basis is not merely a legally acceptable or justified outcome. It may well be imperative. This conclusion is supported not only by fundamental principles of trust law which require adherence to the terms of the trust, and by the Eron decision, but also by the equitable notions of tracing and constructive trust, according to which a beneficiary can trace his proprietary interest into a mingled fund. It is also consistent with the well-established principle that third parties involved in a breach of trust may be personally liable to the beneficiary of a trust the property of which has been misappropriated, if the third party received the misappropriated funds or wrongfully made himself an accessory to the trustee's breach. Where a third party receives the misappropriated money beneficially for his own use, he is liable to a claim based on the principle of knowing receipt and will be required to make restitution. In sum, the Ontario courts are reluctant to ex post facto disregard an investor's decisions, especially where doing so involves ignoring the existence of a trust relationship.[32]



(Soulignements ajoutés)



[116] En résumé et quoiqu'il existe certains exemples jurisprudentiels ou les tribunaux canadiens ont opté pour une mise en commun (pooling) des actifs d'une société malgré l'existence de fiducies, la règle généralement acceptée par la jurisprudence de Common Law est le respect des CLT sauf si les circonstances factuelles sont telles qu'il devient impossible de distinguer soit les actifs d'une fiducie par rapport à une autre, soit les actifs de la fiducie par rapport aux actifs du fiduciaire.

[117] À moins que les faits ne démontrent:

1. l'inexistence d'un CLT;
2. la nécessité d'une mise en commun de certains actifs à cause de la nature même de la fiducie;
3. une conduite de la part du fiduciaire faisant en sorte qu'il est dorénavant impossible d'identifier les actifs affectés par la fiducie;



il faut conclure à l'application de la règle générale voulant que les tribunaux respectent les droits des investisseurs qui ont choisi en toute liberté d'investir dans un contexte donné.

[118] Il appert, des faits de la présente instance que la Méthode de Distribution par Fonds serait celle qui serait privilégiée par un tribunal chargé d'appliquer les règles de la Common Law. Ici, les clients‑investisseurs ne sont pas dans une situation factuelle tellement différente de celle des investisseurs dans Eron. Les clients-investisseurs ont choisi d'investir dans un ou des Fonds donnés. Au lieu d'une déconfiture et de sévères lacunes dans la gestion et l'administration des prêts hypothécaires, les clients‑investisseurs ont eu a subir les conséquences d'une fraude systématisée qui a produit des effets similaires. Il n'y a pas de raison de ne pas distribuer les actifs des Fonds aux clients‑investisseurs de ces mêmes Fonds s'il est possible d'identifier et de retracer le reliquat avec un degré raisonnable de certitude et de fiabilité.

b) Les fiducies de droit québécois

[119] Plusieurs des Fonds ont été constitués en vertu du droit québécois. Les règles qui gouvernent ces fiducies sont contenues au Code civil du Québec, plus particulièrement aux articles 1260 à 1298 C.c.Q.

[120] L'article 1260 C.cQ. énonce les trois éléments principaux d'une fiducie[33]:

Art. 1260. La fiducie résulte d'un acte par lequel une personne, le constituant, transfère de son patrimoine à un autre patrimoine qu'il constitue, des biens qu'il affecte à une fin particulière et qu'un fiduciaire s'oblige, par le fait de son acceptation, à détenir et à administrer.



(Soulignements ajoutés)



[121] Ces trois conditions sont réunies en l'espèce.

[122] En effet, lorsqu'un client-investisseur décide d'investir dans un Fonds donné, il transfère à titre de constituant un bien de son patrimoine qu'il affecte à une fin particulière, c'est-à-dire le but recherché par le Fonds en question, but énoncé dans sa plitique d'investissement, politique appliquée par un fiduciaire ou un gérant.

[123] Les articles 1264 et 1265 C.c.Q. complètent les dispositions relatives à la constitution d'une la fiducie de droit québécois:

Art. 1264. La fiducie est constituée dès l'acceptation du fiduciaire ou, s'ils sont plusieurs, de l'un d'eux.

Lorsque la fiducie est établie par testament, les effets de l'acceptation rétroagissent au jour du décès.

Art. 1265. L'acceptation de la fiducie dessaisit le constituant des biens, charge le fiduciaire de veiller à leur affectation et à l'administration du patrimoine fiduciaire et suffit pour rendre certain le droit du bénéficiaire.



(Soulignements ajoutés)



[124] Dans une fiducie du type fonds commun de placement, le constituant est aussi le bénéficiaire.

[125] C'est l'article 1261 C.c.Q. qui détermine ce que l'on droit comprendre par patrimoine d'affectation:

Art. 1261. Le patrimoine fiduciaire, formé des biens transférés en fiducie, constitue un patrimoine d'affectation autonome et distinct de celui du constituant, du fiduciaire ou du bénéficiaire, sur lequel aucun d'entre eux n'a de droit réel.



(Soulignements ajoutés)



[126] Ainsi, le patrimoine d'affectation n'est plus la propriété du constituant et n'est pas encore la propriété du bénéficiaire.

[127] Quant aux droits du bénéficiaire de la fiducie en l'espèce, le détenteur de parts d'un Fonds donné, ils sont énoncés à l'article 1284 C.c.Q.:

Art. 1284. Pendant la durée de la fiducie, le bénéficiaire a le droit d'exiger, suivant l'acte constitutif, soit la prestation d'un avantage qui lui est accordé, soit le paiement des fruits et revenus et du capital ou de l'un d'eux seulement.



[128] Le bénéficiaire peut donc décider de laisser fructifier son investissement dans le Fonds bénéficiaire ou de liquider ses parts et de retirer les fruits et revenus de son investissement.

[129] Voir aussi le commentaire le l'auteur John B. Claxton dans Studies on the Quebec Law of Trust, Thomson-Carswell, p. 32, No. 1.70:

1.70. A Patrimony Also Involves or Constitutes a Fund. Another idea inherent in the concept of a patrimony is that it constitutes a fund, a composite of a group of properties. The individual properties may be added to, replaced or removed, but the patrimony continues. Its properties may change but the fund remains. The concept of a fund also connotes the idea that the fund is where the value is; and that this collective value is more important than the individual things which compose it. Aubry et Rau expressed it as follows:



Le patrimoine considéré comme ensemble de biens ou de valeurs pécuniaires exprime lui-même, en définitive, l'idée d'un pareille valeur (Charles Aubry et Charles Rau, Cours de droit civil français, 5th ed. Tome 9).



[130] En l'instance, la constitution des Fonds en fiducies est admise, que ces fiducies soient régies par la Common Law ou par le droit civil.

[131] Dans Royal Trust c. Tucker et al.[34], le juge Beetz avait déjà établi, avant la réforme du Code civil de 1994, que la fiducie de droit québécois s'inspirait du droit anglais, qui ne demeure pertinent que dans la mesure où le Code civil ne codifie pas les principes de droit applicables. Donc, en matière de fiducies de droit québécois, ce sont les dispositions du Code civil qui s'appliquent d'abord et les principes de la Common Law en matière de constitution, de gestion et de liquidation d'une fiducie ne s'appliqueront qu'à titre supplétif.

[132] Donc, si l'on doit liquider une fiducie de droit québécois, on dot d'abord examiner et appliquer les articles pertinents du Code civil.

[133] D'abord, l'article 1296 C.c.Q. édicte ce qui suit:

Art. 1296. La fiducie prend fin par la renonciation ou la caducité du droit de tous les bénéficiaires, tant du capital que des fruits et revenus.

Elle prend fin aussi par l'arrivée du terme ou l'avènement de la condition, par le fait que le but de la fiducie a été atteint ou par l'impossibilité, constatée par le tribunal, de l'atteindre.

À défaut de bénéficiaire, les biens qui restent au terme de la fiducie sont dévolus au constituant ou à ses héritiers.



[134] Puis l'article 1294 C.c.Q. prévoit la terminaison de la fiducie par le tribunal:

Art. 1294. Lorsqu'une fiducie a cessé de répondre à la volonté première du constituant, notamment par suite de circonstances inconnues de lui ou imprévisibles qui rendent impossible ou trop onéreuse la poursuite du but de la fiducie, le tribunal peut, à la demande d'un intéressé, mettre fin à la fiducie; il peut aussi, dans le cas d'une fiducie d'utilité sociale, lui substituer un but qui se rapproche le plus possible du but original.



Si la fiducie répond toujours à la volonté du constituant, mais que de nouvelles mesures permettraient de mieux respecter sa volonté ou favoriseraient l'accomplissement de la fiducie, le tribunal peut modifier les dispositions de l'acte constitutif.



(Soulignements ajoutés)



[135] Dans le cas présent, les fiducies en question ne répondent plus à la volonté des constituants, c'est-à-dire les clients‑investisseurs. Il n'est donc pas question que le Tribunal puisse modifier les dispositions des actes constitutifs.

[136] En cas de fraude ou de malversation, les articles 1290, 1291 et 1292 C.c.Q. sont pertinents:

Art. 1290. Le constituant, le bénéficiaire ou un autre intéressé peut, malgré toute stipulation contraire, agir contre le fiduciaire pour le contraindre à exécuter ses obligations ou à faire un acte nécessaire à la fiducie, pour lui enjoindre de s'abstenir de tout acte dommageable à la fiducie ou pour obtenir sa destitution.



Il peut aussi attaquer les actes faits par le fiduciaire en fraude du patrimoine fiduciaire ou des droits du bénéficiaire.



Art. 1291. Le tribunal peut autoriser le constituant, le bénéficiaire ou un autre intéressé à agir en justice à la place du fiduciaire, lorsque celui‑ci, sans motif suffisant, refuse d'agir, néglige de le faire ou en est empêché.



Art. 1292. Le fiduciaire, le constituant et le bénéficiaire sont, s'ils y participent, solidairement responsables des actes exécutés en fraude des droits des créanciers du constituant ou du patrimoine fiduciaire.



(Soulignements ajoutés)



[137] Ces dispositions établissent les droits et obligations des parties à la fiducie (constituant, fiduciaire et bénéficiaire) au cas de fraude. L'une ou l'autre de ces personnes peut exercer un recours judiciaire contre la fiducie ou pour le compte de la fiducie. Donc, s'il y eu fraude ou malversation, les détenteurs de parts d'une fiducie donnée peuvent exercer un recours contre le fiduciaire ou même contre une autre fiducie qui se serait enrichie aux dépens de la première.

[138] Mais si le Tribunal met fin à la fiducie aux termes de l'article 1294 C.c.Q. qu'est‑ce qui permettrait au Tribunal de distribuer à d'autres que les constituants (ou que les bénéficiaire selon le cas) les actifs de la fiducie ainsi terminée? Si les actifs sont identifiés ou identifiables (comme c'est le cas ici) comment peut-il distribuer le patrimoine d'affectation à d'autres qu'aux bénéficiaires (ou aux constituants)?

[139] Il n'y a pas vraiment d'exemples tirés de la jurisprudence québécoise offrant une solution analogue à celle que préconise la Common Law en matière de distribution judiciaire (par Fonds ou globale) des actifs d'une ou de plusieurs fiducies.

[140] Si les cas décrits aux articles 1290, 1291 et 1292 C.c.Q. ne font qu'engendrer la responsabilité des personnes ayant commis des actes frauduleux qui deviennent alors responsables solidairement envers les bénéficiaires de la fiducie ou envers le patrimoine fiduciaire, la fraude affectant le patrimoine fiduciaire ne met pas fin à la fiducie elle-même. Elle ne fait qu'ouvrir un régime de responsabilité où les personnes responsables devront indemniser le patrimoine fiduciaire ou les bénéficiaires, des pertes causées par leurs malversations. La fraude comme telle ne corrompt pas la fiducie ni le patrimoine fiduciaire.

[141] Si les constituants ou les bénéficiaires d'un Fonds donné, régi par le Code civil, subissent des pertes résultant de la fraude commise par d'autres personnes, ces constituants ou bénéficiaires peuvent exiger réparation des personnes responsables et ainsi reconstituer le patrimoine d'affectation préalablement dilapidé. Ces mêmes constituants ou bénéficiaires n'ont aucun droit à faire valoir à l'encontre des autres constituants ou bénéficiaires, qui n'ont en aucune façon participé à ces manœuvres frauduleuses.

[142] La situation sera différente si les constituants ou bénéficiaires d'une fiducie donnée peuvent démontrer qu'une autre fiducie profite indûment des biens et actifs de la première suite à des transferts frauduleux que l'on peut établir avec un degré raisonnable d'exactitude. Dans un tel cas le Fonds injustement enrichi devra restituer au Fonds appauvri l'actif acquis frauduleusement ou illégalement.

[143] La preuve ne permet pas d'identifier ce genre de situation, hormis le renversement des sommes incluses dans le 264,683$ précédemment identifié.

[144] On peut même se demander si le Tribunal a le pouvoir de créer de toutes pièces une nouvelle fiducie où l'on mettra en commun tous les actifs de toutes les autres fiducies, pour ensuite inviter tous les clients-investisseurs afin de leur permettre de toucher une quote-part non pas sur la base de la valeur relative de leurs parts mais sur la base de leur investissement original. Rien dans le Code civil ne permet au Tribunal d'agir de la sorte.

[145] Pour répondre à la suggestion d'un partage selon la Méthode de la Distribution Globale, il faudrait donc que le Tribunal:

* mette fin à toutes les fiducies aux termes du premier alinéa de l'article 1294 C.c.Q.; ou
* modifie les dispositions de toutes les fiducies pour en créer une nouvelle qui respecterait, aux termes du second alinéa de l'article 1294 C.c.Q. les volontés de tous les clients-investisseurs. Or, cela ne semble pas possible. Il est en effet impossible de penser que tous les clients‑investisseurs choisiront la voie de la distribution globale! Cette solution apparaît impossible à réaliser en l'espèce.



[146] Chaque Fonds, constitué en fiducie de droit québécois, ayant son patrimoine d'affectation distinct et sa fin particulière (objectif ou philosophie d'investissement) ne peut alors que faire l'objet d'une terminaison judiciaire (article 1294 C.c.Q.) et, aux termes de l'article 1297 C.c.Q. le patrimoine d'affectation de chacune d'entre elles ne peut être distribuée qu'à ceux qui y ont droit, c'est-à-dire chacun des clients‑investisseurs dans la proportion de la part qui leur revient.

[147] Le Tribunal pourrait aussi, toujours aux termes de ces mêmes articles, ordonner la distribution des biens de la fiducie tels qu'ils existent actuellement mais ne pas les terminer judiciairement. Les fiducies continueraient d'exister et dans l'éventualité ou les personnes responsables de la diminution ou de la disparition des patrimoines d'affectation de ces mêmes fiducies les auront indemnisés, alors le Tribunal pourrait procéder à une ou plusieurs distributions supplémentaires en faveur de ceux qui y ont droit jusqu'à ce que les bénéficiaires aient reçu tout leur dû ou jusqu'à ce que tous les recours à l'endroit des personnes responsables aient été épuisés.

[148] L'article 261 LVM a conféré au ministre des finances un pouvoir que ce dernier a choisi d'exercer, c'est-à-dire la liquidation de leurs patrimoines d'affectation respectifs. Cela rend impossible la constitution d'un nouveau patrimoine d'affectation au bénéfice de tous les détenteurs de parts de toutes les fiducies concernées. Conformément à l'article 1294 C.c.Q., le Liquidateur doit distribuer les soldes des Fonds aux clients‑investisseurs détenteurs de parts de ces Fonds spécifiques, après avoir renversé le cas échéant les transactions inter‑Fonds frauduleuses ou illégales.

[149] Dans Poirier c. De Coste[35] le juge Michel Côté de cette Cour a rejeté l'idée de constituer une nouvelle fiducie ou de modifier une fiducie existante d'une façon telle que la volonté du constituant de l'acte original n'était plus présent.

[150] La fiducie originale avait été crée en faveur d'un enfant. Survient l'arrivée d'un deuxième enfant et on s'adresse alors à la Cour pour élargie la notion de bénéficiaire aux deux enfants.

[151] C'est ce que la Méthode de Distribution Globale amènerait le Tribunal à faire en l'espèce: il faudrait, dans un premier temps mettre de côté tous les objectifs d'investissements visés par les fins particulières de chacun des Fonds, pour ne créer qu'un fiducie de placement unique dont le patrimoine d'affectation n'aurait plus rien à voir avec les patrimoines d'affectation des fiducies originales et où les bénéficiaires verraient leurs droits profondément modifiés. Pour reprendre les mots du juge Côté dans Poirier précité:



(18) " … on requiert ici la création, de toutes pièces, d'un nouvel acte de fiducie qui, loin de respecter l'acte original ou de favoriser l'accomplissement de la fiducie que ce dernier institue, substituerait une

nouvelle volonté à celle alors exprimée et défavoriserait l'accomplissement de la fiducie instituée en 1995."[36]



(Soulignements ajoutés)



[152] Le professeur Beaulne[37] commente cette décision en ces termes:

Dans son jugement, le juge a refusé – avec raison d'ailleurs – la requête, au motif que la modification demandée, loin de favoriser l'accomplissement de la fiducie, substituerait une nouvelle volonté à celle exprimée à l'acte constitutif et défavoriserait son affectation originale. Insistant sur les conditions précises de l'article 1294 et al. 2 C.c.Q., c'est-à-dire que la fiducie réponde toujours à la volonté du constituant mais que de nouvelles mesures permettraient de mieux respecter cette volonté en favorisant l'accomplissement de la fiducie, le tribunal constate que la modification recherchée aurait eu au contraire comme effet de permettre au fiduciaire d'accomplir autre chose que ce qui était prévu à l'acte constitutif. Bien plus, conclut le juge, la modification serait allée carrément à l'encontre des intérêts de la bénéficiaire et aurait transformé la finalité de la fiducie (Trust Général du Canada c. De Lerpinière-Amyot, J.E. 95-1105 (C.S.). Commentant favorablement l'arrêt Poirier, le professeur Normand écrit: "Le pouvoir attribué au tribunal ne saurait être vu comme un outil qui permet d'adapter les fiducies au gré de l'évolution des volontés des personnes intéressées". [38]



(Soulignements ajoutés)



[153] Donc, en droit québécois tout comme en Common Law, les fiducies de placement qui font l'objet d'une terminaison judiciaire doivent, dans la mesure où cela s'avère possible, voir leur patrimoine d'affectation distribué à ceux qui y ont droit, c'est à-dire aux bénéficiaires, ou à défaut, aux constituants. La seule exception serait l'impossibilité pour le fiduciaire d'identifier et de retracer le patrimoine fiduciaire. Ce n'est pas le cas ici.

[154] Les circonstances factuelles du présent dossier indiquent qu'il est possible d'établir avec un degré prépondérant de certitude, les patrimoines d'affectation des Fiducies. Dans ce cas, le Tribunal doit prioriser la Méthode de Distribution par Fonds.



POSITION DES TENANTS DE LA MÉTHODE DE DISTRIBUTION GLOBALE, ÉNONCÉ ET CRITIQUE

[155] Avant de conclure de façon définitive et d'écarter la Méthode de Distribution Globale comme solution adéquate dans les circonstances, il y a lieu de réviser attentivement la position et les arguments avancés par Me Fontaine au nom de ceux et celles qui recherchent l'application de la Méthode de Distribution Globale.



A) La fraude corrompt tout

[156] Les tenants de cette méthode allèguent, dans un premier temps, que la fraude a été si généralisée et si importante qu'elle a "irrémédiablement vicié la structure fiduciaire des Fonds, en s'immisçant dans chacun d'eux".[39]

[157] Admettant par ailleurs que chacun des Fonds a été valablement constitué en fiducie (soit en fonction de la Common Law, soit en fonction du Code civil), Me Fontaine suggère que la structure fiduciaire n'ayant pas résisté à la fraude, le Tribunal doit donc la considérer comme nulle et de nul effet.

[158] Cette proposition surprend.

[159] Vincent Lacroix a réussi à frauder les clients-investisseurs, soit, mais la fraude n'a pu réussir que par le mensonge, la falsification de documents et la dissimulation des données relatives aux patrimoines d'affectation des Fonds qu'il a réussi à piller.

[160] Devrait-on briser l'étanchéité des patrimoines d'affectation des Fonds parce que Vincent Lacroix réussi à dilapider les actifs des Fonds?

[161] Ce n'est pas la structure fiduciaire des Fonds qui a été mise en place frauduleusement. La fraude ne se situe pas à ce niveau. Elle se situe plutôt à un niveau opérationnel. Si Vincent Lacroix a dû falsifier les ordres d'achat et de vente des unités de chaque Fonds et s'il a dû mettre sur pied un système de retraits et de transferts frauduleux, c'est justement parce que les diverses structures fiduciaires mises sur pied lors de la constitution des Fonds l'ont contraint à raffiner sa stratégie de fraude. Ainsi, les structures fiduciaires n'ont pas aidé ou encouragé la fraude: elles l'ont rendue plus compliquée et elle a permis de protéger, au moins une partie substantielle des patrimoines d'affectation des divers Fonds.

[162] Sans ces structures fiduciaires, Vincent Lacroix aurait peut-être réussi à tout vider.

[163] Le Tribunal n'est pas convaincu de l'argument voulant que la fraude de Vincent Lacroix et de ses acolytes ait comme conséquence de doive décloisonner toutes les fiducies pour n'en faire qu'un seule ou encore créer une masse d'actifs à l'égard de laquelle tous les clients‑investisseurs pourraient avoir accès.

[164] Dans un premier temps, une telle situation créerait un cauchemar comptable car il faudrait alors pondérer la valeur de chacune des unités détenues par chacun des investisseurs pour arriver à une valeur standard applicable à tous. En effet, chaque Fonds ayant son intégrité propre, chaque unité de chaque Fonds n'a pas la même valeur qu'une unité d'un autre Fonds à un date donnée.

[165] Il faudrait donc changer la base d'établissement des droits de chaque client-investisseur, vraisemblablement en fonction des sommes investies par chaque investisseur.

[166] Il n'y a aucune raison d'agir ainsi dans la mesure où les soldes des Fonds s'avèrent être fiables et non pollués, malgré les allégations en sens contraire des tenants de la Méthode de distribution globale. La fraude n'a pas corrompu ces mêmes soldes. Il n'y a pas lieu d'intervenir dans le sens proposé.

[167] Les soldes des actifs liquidés des Fonds continuent de bénéficier de leur indépendance par rapport aux autres Fonds. Cela a été amplement démontré par la preuve non‑contredite administrée par le Liquidateur.

[168] La fraude de Vincent Lacroix et de ses acolytes ne peut avoir pour effet de forcer les clients‑investisseurs à perdre le bénéfice de leur choix d'investir dans un Fonds donné.

[169] Dans la mesure où les clients‑investisseurs ont pu choisir un Fonds par opposition à un autre, soit parce que les perspectives de rendement étaient meilleurs à leurs yeux, soit parce qu'ils recherchaient une certaine protection, il faut d'abord et avant tout, protéger ce choix. La fraude commise par Vincent Lacroix et ses acolytes ne peut venir priver les clients-investisseurs de ce qui reste de leurs biens sous le couvert d'un principe qui n'existe en fait que pour empêcher un fraudeur de bénéficier des fruits de sa fraude.

[170] Il ne faut pas, sous le couvert d'une certaine recherche d'équité, créer une nouvelle iniquité en tentant d'en corriger une première.

[171] Vincent Lacroix a réussi à piller les actifs de certains de ses clients. Va-t-on demander à des tiers innocents qui n'ont rien à voir avec ces manœuvres frauduleuses de participer malgré eux à un exercice de compensation de ce pillage?

[172] Pourquoi à cause de la fraude perpétrée et qui prive des milliers de clients‑investisseurs de leurs biens doit-on exiger d'autres clients‑investisseurs qu'ils prennent une partie de leurs propres actifs pour atténuer l'impact d'une série de malversations auxquelles ils n'ont pas participé?

[173] La maxime "Fraus omnia corrumpit" fera en sorte, lorsqu'elle est appliquée de priver le bénéficiaire (même innocent) d'une fraude du bénéfice de cette fraude. Ainsi tous les gestes posés par les perpétrateurs des actes frauduleux seront nuls quant à eux. Si les clients‑investisseurs se trouvaient (bien malgré eux) indirectement enrichis par ces mêmes actes frauduleux, on pourrait alors prétendre qu'ils ont l'obligation morale, sinon civile, de restituer aux victimes les fruits d'un tel enrichissement.

[174] Mais ici, l'ensemble des clients-investisseurs (sauf peut-être une infime minorité) perd de l'argent. Certains plus que d'autres. Mais le Tribunal ne voit aucune raison de demander à des victimes moins touchées mais innocentes, de contribuer aux pertes d'autres victimes plus éprouvées.

[175] Dans Hall c. Hébert[40] la juge Mc Lauchlin de la Cour Suprême avait à se prononcer sur les circonstances de la conduite immorale ou criminelle d'une partie et de l'impact d'une telle conduite sur son droit de recevoir des dommages‑intérêts auxquels il aurait droit par ailleurs. Elle écrit:

À mon avis, les tribunaux ne devraient pouvoir empêcher l'indemnisation en matière délictuelle du fait de la conduite immorale ou illégale du demandeur que dans des circonstances très limitées. Selon moi, ce pouvoir est fondé sur le devoir qu'ont les tribunaux de préserver l'intégrité du système juridique, et il ne peut être exercé que lorsque cette préoccupation est en cause. Elle est en cause lorsque l'attribution de dommages‑intérêts dans une poursuite civile aurait pour effet de permettre à une personne de tirer profit de sa conduite illégale ou fautive, ou de faire en sorte qu'elle échappe à une sanction pénale. [41]



[176] Citant les commentaires de la juge McLachlin, le juge Luc Lefebvre de notre cour a commenté la maxime "Fraus omnia corrumpit" dans l'affaire Belingham Trading Limited c. Métropolitain Fund Management Limited et al.[42] en appel, dans les termes suivants:

284. Les demanderesses prétendent quant à elles que les maximes Ex turpi causa non oritur actio, Frustra legis auxilium quaerit qui in legem committit ("Celui qui viole la loi cherche en vain le secours de la loi") ne s'appliquent pas en droit québécois. Subsidiairement, elles plaident que si elles faisaient partie du droit québécois, le contexte actuel ne permet pas leur application.



285. Le Tribunal estime que ces maximes ne sont pas applicables en droit québécois pour les motifs suivants que les procureurs des demanderesses énoncent dans leurs notes écrites et que le Tribunal fait siens:



51. Le Code civil du Québec constitue un régime complet et comprend l'ensemble des règles pertinentes à l'évaluation des dommages et à l'octroi d'une restitution. À cet effet, l'article 1699 C.c.Q., de droit nouveau, prévoit:



La restitution des prestations a lieu chaque mois qu'une personne est, en vertu de la loi, tenue de rendre à une autre des biens qu'elle a reçus sans droit ou par erreur, ou encore en vertu d'un acte juridique qui est subséquemment anéanti de façon rétroactive ou dont les obligations deviennent impossibles à exécuter en raison d'un force majeure.



Le Tribunal peut, exceptionnellement, refuser la restitution lorsqu'elle aurait pour effet d'accorder à l'une des parties, débiteur ou créancier, un avantage indu, à moins qu'ils ne juge suffisant, dans ce cas, de modifier plutôt l'étendue ou les modalités de la restitution.



52. Dans ses commentaires, le ministre Gil Rémillard commente comme suit cet ajout:



Ce principe de la restitution des prestations, applicable dans toutes les situations visées, exclut ainsi un courant jurisprudentiel qui tend à refuser aux parties le droit à la restitution ou la remise en état lorsque l'acte en cause est immoral. Une telle tendance, qui s'appuie, entre autres, sur l'adage que nul ne peut invoquer sa propre turpitude, n'a pas paru devoir être conservée, car elle conduit bien souvent à ajouter une seconde immoralité à la première, en provoquant l'enrichissement indu de l'une des parties.



[177] On ne peut donc forcer des personnes qui n'ont aucune responsabilité dans l'acte reproché ou qui ne retirent aucun bénéfice de ce même acte à faire restitution de quoique ce soit.

[178] Que peut-on reprocher aux clients‑investisseurs qui bénéficieront le la Méthode de Distribution par Fonds? Le fait de ne pas avoir tout perdu ou le fait d'avoir moins perdu que d'autres? Le Tribunal est d'avis que ce serait déconsidérer le processus judiciaire que de forcer ces personnes à ainsi réparer le préjudice causé par d'autres.

[179] Il est vrai que dans une plus ancienne décision de Banque de Nouvelle Écosse c. Angelica Whitewear Ltd.[43] la Cour Suprême du Canada avait reconnu le principe de la maxime "Fraus omnia corrumpit" en droit québécois. Mais, dans cette affaire on tentait d'empêcher l'encaissement d'une lettre de crédit irrévocable dont la documentation sous‑jacente avait été obtenue par fraude. C'est l'effet de la fraude sur une victime innocente que l'on voulait éviter. Angelica Whitewera a donc plaidé avec succès qu'elle pouvait faire obstacle à l'encaissement de la lettre de crédit par la banque émettrice parce que le bénéficiaire du crédit avait commis une fraude. En vertu e al maxime "Fraus omnia corrumpit" l Cour Suprême a maintenu la position de l'intimée et a ordonné à la Banque appelante de rembourser le débit résultant de l'encaissement de la traite bancaire.

[180] Dans un tel contexte, c'est le fraudeur qui bénéficiait de sa fraude et c'est la victime innocente qui assumait l'impact de la fraude. Quant à la Banque, elle avait été prévenue avant le paiement de la traite qu'il y avait fraude et que la documentation présentée n'était pas conforme avec les conditions de crédit. Cette affaire se distingue donc totalement des faits de la présente instance.

[181] Il est vrai que la fraude a eu comme conséquence de modifier certaines choses.

[182] Premièrement, Me Fontaine allègue que le maintien artificiel des valeurs des actifs des Fonds aura eu pour effet de gonfler la facturation des frais de gestion. Ce gonflement fait en sorte que les soldes restants des Fonds sont moindres que ce qu'ils auraient été si cette facturation aurait été plus adéquate. Cet argument ne peut mener au décloisonnement et à la mise en commun (pooling) de tous les actifs des Fonds en question. L'effet de cette situation n'est que de réduire les soldes et non de les polluer en faisant en sorte que des actifs provenant d'autres Fonds ne se retrouvent au mauvais endroit.

[183] Deuxièmement, Me Fontaine se plaint du fait que certain Fonds afficheraient des soldes négatifs au 25 août 2005, ce qui constituerait une aberration. Cette situation a été expliquée notamment par l'affidavit de madame Vera Nancoo (P-22) qui indique que suite à des transferts d'actifs et de liquidités d'un Fonds vers l'extérieur (Transfer Out), alors que certains transferts de l'extérieur vers un même Fonds (Transfer In) ne pouvaient pas toujours correspondre parfaitement dans le temps, il pouvait s'avérer que Northern Trust puisse avancer, sous forme de prêt, les liquidités nécessaires pour compléter un "Transfer Out" en attendant que les "Transfer In" ne soient complétés. Plus tard, lorsque toutes les transactions étaient complétées, ces prêts ou avances se trouvaient remboursées.

[184] Le 25 août 2005 a vu toutes les transactions, tous les transferts de Fonds (Transfer In et Transfer Out) gelés.

[185] Cette situation aurait, selon madame Nancoo fort bien pu se produire dans un contexte dénudé de toute fraude. En gelant les transactions, certains Fonds qui avaient effectué des Transfer Out n'ont pu recevoir le bénéfice des Transfer In et Northern Trust n'a pu se rembourser des avances effectuées.

[186] Le Tribunal ne peut, dans de telles circonstances, retenir ces faits comme indicatifs de la nécessité d'une mise en commun de tous les actifs des Fonds.

[187] Troisièmement, on allègue le fait que le système de comptabilité interne du Groupe Norbourg (le système Octans) a été vicié à cause de la fraude. Il exact que les données afférentes à chacune des Fonds étaient altérées et ne démontraient pas la réalité. Cela ne veut pas dire que les soldes de ces mêmes Fonds tels qu'ils existent aujourd'hui peuvent appartenir à d'autres qu'aux détenteurs de parts de chacun de ces Fonds.

[188] Quatrièmement, Me Fontaine souligne que les ventes et les achats étaient viciés car ils étaient complétés et effectués en fonction d'une valeur liquidative (net asset value) viciée. Encore une fois, cet argument n'affecte en rien les soldes restants. Il ne peut qu'affecter le nombre de parts reçues par un investisseur donné lors de l'achat ou encore le produit obtenu lors de la vente de ces mêmes parts mais l'argument en question n'affecte en rien la fiabilité ou la propriété des soldes restants.

[189] En conclusion sur la question de l'impact de la fraude sur les actifs restants, celle‑ci a pu être parfois ponctuelle, parfois menée à grande échelle. Mais tant et aussi longtemps que les registres des Fonds peuvent permettre les calculs et ajustements nécessaires pour rétablir les soldes restants, il ne saurait alors être question de priver les clients‑investisseurs du bénéfice des fiducies de placement dans lesquelles ils ont choisi d'investir.

[190] Le Tribunal est satisfait de la preuve du Liquidateur quant à la fiabilité des soldes restants dans les 27 Fonds à être liquidés.

[191] Me Fontaine écrit notamment[44]:

"Si la structure établie n'a pas causé la fraude, elle n'y a pas résisté. Une fois que tous les Fonds eurent été victimes de détournements, tous les achats et rachats d'unités étaient irrémédiablement viciés et les actifs des différents Fonds se mélangeaient dès lors au rythme des Transfert Inter‑Fonds et des ventes Norbourg. En d'autres termes, ces deux sortes d'opérations servaient de pont permettant à la fraude de se diffuser d'un Fonds à l'autre."





[192] Avec égards, cette affirmation n'est pas conforme à la preuve.

[193] Même si les clients-investisseurs ont acheté ou vendu des unités dans des Fonds où la valeur liquidative des unités étaient artificielles, il n'en demeure pas moins que les sommes transférées au patrimoine d'affectation d'un Fonds donné appartiennent aux détenteurs de parts de ce même Fonds. La seule préoccupation que l'on doit garder est de s'assurer que les soldes des Fonds proviennent des détenteurs de parts de ces mêmes Fonds et non d'un autre Fonds.

[194] Cette démonstration ayant été faite de manière prépondérante, le Tribunal ne peut en déroger.

B) La "cristallisation de l'arbitraire"

[195] Dans ce volet de son argumentation, Me Fontaine suggère que dans la mesure où les détournements frauduleux ont été effectués arbitrairement par Vincent Lacroix et ses acolytes et dans la mesure où Lacroix camouflait ses détournements frauduleux en désignant tout aussi arbitrairement lesquels des Fonds devaient être dilapidés, il faut alors pencher en faveur d'une Méthode de Distribution Globale.

[196] Avec égards, cet argument n'a pas d'assise juridique.

[197] Ce n'est pas parce que Lacroix a réussi à dilapider certains Fonds plutôt que d'autres que les Fonds ayant moins souffert doivent être mis à contribution. Ce qui est important c'est de déterminer si les actifs restants dans le patrimoine d'affectation de chacun des Fonds sont bel et bien des actifs qui appartiennent à ces Fonds pour le bénéfice des détenteurs de parts de ces mêmes Fonds.

[198] Me Fontaine base notamment son argumentation sur l'affaire L.S.U.C. c. Toronto Dominion Bank[45] de la Cour d'appel de l'Ontario où les faits étaient fort différents. Il était, dans ce cas spécifique, impossible de déterminer quelles liquidités de quel client avaient été détournées.

[199] Il s'agissait dans cette affaire de déterminer l'identité et le retraçage des fonds détenus dans le compte en fidéicommis d'un avocat, duquel l'avocat avait effectué des retraits pour ses fins personnelles. Lors de la saisie avant jugement des fonds, il s'est avéré qu'il n'y avait pas assez d'argent pour rembourser tous les clients ayant effectué des dépôts dans le compte en question.

[200] Plusieurs méthodes de distribution ont alors été soumises à la Cour mais aucune de ces méthodes n'a permis au Tribunal de procéder à la liquidation du compte en fidéicommis autrement que sur la base d'un prorata. En effet, il était impossible de déterminer à qui appartenait le reliquat du compte en fidéicommis.

[201] Dans le cas qui nous occupe, les liquidités encore détenues dans les Fonds appartiennent aux détenteurs de parts de chacun de ces Fonds. Donc, s'il manque de liquidités pour rembourser l'ensemble des détenteurs de parts d'un Fonds donné, on doit alors procéder à une distribution des liquidités restantes sur la base d'un pro-rata du nombre de parts détenues par chacun des détenteurs de parts ayant investi dans ce Fonds.

[202] Lorsque l'on réfléchit attentivement à la position retenue par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire L.S.U.C. précitée, on peut même conclure que la suggestion du Liquidateur correspond au raisonnement proposé par le juge Blair de cette Cour.

[203] En effet, dans notre affaire, nous connaissons l'identité des détenteurs de parts dans le Fonds donné, ainsi que le nombre d'unités détenues par chacun d'eux. Il s'agit donc de s'assurer que les liquidités restantes dans ce même Fonds ne proviennent pas d'autres sources pour pouvoir conclure que les liquidités en question ne peuvent appartenir à d'autres personnes qu'aux détenteurs de parts. C'est donc à eux, que reviennent les liquidités en question au pro-rata du nombre de parts qu'ils détiennent.

[204] L'affaire L.S.U.C. précitée est intéressante en ce qu'elle rejette le concept de distribution des liquidités sur une base autre qu'un pro-rata (voir les commentaires du juge Blair sur la "Lowest Intermediate Balance Rule" ou de la "Rule in Clayton's case" qui tentent d'identifier un mode de distribution basé sur la date d'un dépôt, du montant de ce dépôt et du solde du compte au moment d'un tel dépôt).

[205] Donc, le soussigné est d'avis que cet arrêt milite en faveur d'une distribution de l'actif en retenant la Méthode par Fonds plutôt que la Méthode Globale, parce que dans la présente instance, les détenteurs de parts sont identifiés et identifiables le nombre de parts de chacun est aussi déterminé et les sommes restantes dans chacun des Fonds peuvent aussi être "retracées" afin de s'assurer que lesdites sommes ne proviennent pas d'autres sources que des détenteurs de parts de ces mêmes Fonds.

[206] C'est d'ailleurs la conclusion du juge Blair[46]:

34. In my view, the method which should generally be followed in cases of pro rata sharing as between beneficiaries is not the LIBR approach but the pari passu ex post facto approach, which has the advantage of relative simplicity. This approach involves taking the claim or contribution of the individual beneficiary to the mixed fund as a percentage of the total contributions of all those with claims against the fund at the time of distribution, and multiplying that factor against the total assets available for distribution, in order to determine the claimant's pro rata share of those remaining funds.

35. This solution is the type of resolution which has been adopted, on a practical basis, in most cases involving more than two or three competing beneficiaries. It is the solution applied by this Court in Greymac, (1985) 51 O.R. (2d) 212 (H.C.J.), affirmed (1986) 55 O.R. (2d) 673 (C.A.), affirmed (1988) 65 O.R. (2d) 479 (S.C.C.), and by the English Court of Appeal in Barlow Clowes International, (1992) 4 Ell. E.R. 22 (Eng. C.A.). It is the solution applied in a number of other recent decisions at the superior court level in this Province involving mixed trust funds and it is the solution applied by Farley J. in the case under appeal. But it is not LIBR.

36. It is, however, the approach which I favour.



(Soulignements ajoutés)



[207] Il faut en effet distinguer de l'hypothèse où tout l'argent des investisseurs aurait été confondu dans un seul Fonds et d'où il aurait été littéralement impossible de retracer les investissements de chacun, de la réalité où les registres du Groupe Norbourg permettent d'attribuer à chaque Fonds sa liste bien précise d'investisseurs et le nombre d'unités qui revient à chacun. Le seul élément problématique qui demeure c'et la fiabilité des soldes restants de chacun des Fonds. Encore une fois, si ces soldes restant sont fiables quant à la source ou la provenance des liquidités qui s'y trouvent, alors il ne peut être question de les distribuer autrement qu'au pro-rata du nombre d'unités détenues par les détenteurs de parts du chacun des Fonds en question.

[208] En ce sens, la proposition du Liquidateur rejoint celle du juge Blair dans l'affaire L.S.U.C. Si en effet le juge Blair avait eu à décider de la distribution de plusieurs comptes en fidéicommis avec, pour chacun, la liste des investisseurs et les montants investis par chacun, il aurait vraisemblablement procédé selon une méthode "par compte en fidéicommis" plutôt que par une méthode où il aurait regroupé en un seul "compte" tous les déposants et tous les dépôts.

[209] Me Fontaine a aussi plaidé que les clients-investisseurs avaient été victimes d'une "malheureuse loterie". Cet argument est basé sur le fait que les investisseurs n'ont pas vraiment basé leur choix d'investir dans l'un ou l'autre des Fonds sur la base d'informations réelles, fiables et véridiques parce que la valeur liquidative des unités d'un Fonds donné était souvent artificielle et que les rendements de ces mêmes Fonds étaient théoriques.

[210] Il est clair que certains investisseurs ont été amenés à investir dans des Fonds où les valeurs liquidatives des parts (net asset value per unit) était fictive. Encore une fois, avec égards, la question n'est pas de corriger les manœuvres frauduleuses commises mais de déterminer à qui appartiennent les sommes restantes.

[211] Quant au risque pour le Tribunal d'entériner l'arbitraire, il faut se rappeler que l'on ne saurait corriger une iniquité en en provoquant une autre. Il est peut-être tentant ou même plus sympathique à première vue d'élaborer un scénario où tous les clients‑investisseurs recevront quelque-chose plutôt que de retourner les actifs restant dans les Fonds à leurs seuls propriétaires. À moins de motifs convaincants et incontournables, le Tribunal n'a pas le droit de déposséder les clients‑investisseurs de ce qui leur revient. Ce serait là commettre une dernière injustice pour tenter de corriger toutes les autres.

C) La thèse du patrimoine unique indivis

[212] Les tenants de la Méthode de Distribution Globale plaident finalement que les Fonds doivent être traités comme une seule masse d'actifs parce que ces mêmes Fonds étaient gérés par un même groupe de personnes qui agissaient "comme s'ils administraient un seul compte en fidéicommis pour plusieurs clients[47]" et, par conséquent les bénéficiaires doivent être considérés comme propriétaires indivis du reliquat.

[213] Avec égards, cet argument n'est pas non plus soutenu par la preuve.

[214] La gestion des actifs de chacun des Fonds était non seulement conforme aux normes généralement acceptables en pareilles circonstances, mais était suffisamment documentée pour permettre au Liquidateur et aux gardiens de valeurs (Northern Trust ou Trust La Laurentienne) d'attribuer à chacun des Fonds une solde qui, jusqu'à preuve du contraire, est fiable. L'utilisation de comptes en fidéicommis dans lesquels transite l'ensemble des liquidités découlant de toutes les transactions d'achat et de vente d'unités ou de valeurs n'empêchent pas la capacité de retraçage des sommes en question, pour ensuite les attribuer à qui de droit.

[215] Soutenir que ce retraçage (Tracing) est impossible n'est pas, non plus, conforme à la preuve. Me Fontaine s'appuie notamment sur l'affaire Major Trust pour illustrer son propos.

[216] Dans l'affaire Re: Major Trust Co. une décision de la Cour suprême de l'Île-du-Prince-Édouard[48] les fait étaient les suivants: une compagnie de fiducie a reçu des sommes en dépôt de la part de ses clients dans le but d'acheter pour leur compte des certificats de placement garantis. Les sommes ont été déposées dans un compte où il était impossible de les retracer.

[217] Le juge Trainor écrit:

Because of the form of the guaranteed investment certificate used by Major Trust, there does not appear to be any doubt that the investors were led to believe that their money was accepted as being in the nature of a trust investment. And it may well be that if such moneys were still ascertainable as to source, they would not form any part of the assets of Major Trust to be distributable among its creditors. But I had Mr. Clyde C. Walls, the manager of Central Trust, the liquidator of Major Trust, give evidence before me. He testified that all money from every source including moneys deposited for guaranteed investment certificates, moneys placed on deposit and interest and principal payments on mortgages, were mixed together. And out of those moneys, cash disbursements were made for the payment of current operating accounts, for repayment of small deposits and interest on same, as well as for the payments of staff salaries, etc. The remainder of such moneys was paid into a single bank account out of which payments were made for all purposes including the purchase of securities and the disbursement of mortgage proceeds to mortgagees.

It is well settled law that where trust money can be followed and traced to identifiable property that property also becomes the subject of the original trust. In Re: Hallett & Co., Ex p. Blane (1984) 2 Q.B. 237, Davey, L.J., said at p. 244:

In order to follow trust money, there must be specific property capable of being identified, into which the money has been converted …

And at p. 245, in reference to Re: Hallet's Estate (1880), 13 Ch. D. 696, the same Lord Justice said:

That decision in no way qualifies the rule that there must be specific thing capable of being followed.

Counsel for the holders of guaranteed investment certificates points to assets listed in Notes 3 and 8 of the auditor's report (ex. 1) and says:

It must be assumed that where a company such as Major Trust accepted funds for trustee investment, and where trustee investments are to be found within its portfolio, then the one must be equated with the other; in the instant case, that the above assets, and possibly including others not therein specified, are such trust assets bound by the trust, the property of the trust investors, and not available for distribution among the general creditors of Major Trust, including depositors.

I am unable to accept that argument as a valid one to be applied to the circumstances of the present case. Because of the manner in which all moneys coming into the hands of Major Trust were dealt with by placing them in a single bank account after paying out portions thereof for general operational purposes of the company, there is no way by which the moneys for guaranteed certificates can be traced into the various securities held by the provincial Government, to the exclusion of moneys left on deposit only.[49]



(Soulignement ajoutés)



[218] Les faits de cette affaire sont fort différents de notre cas.

[219] Comme question de fait, il faut, comme l'affirme le juge Traynor, toujours faire la distinction entre ce qui peut être "identifié et retracé" et ce qui ne peut l'être. Dans un cas il n'y aura pas de confusion et dans l'autre il y en aura. Le choix de la méthode de distribution est donc une question de fait et la décision ultime doit être prise en fonction des faits mis en preuve de façon prépondérante.

[220] Dans l'affaire de S.M. la Reine du chef de la Colombie Britannique c. Hemfrey Samson Bélair et al.[50], une entreprise à perçu la taxe de vente dans le cours de ses opérations commerciales et a confondu les sommes ainsi perçues avec ses propres actifs.

[221] La Cour suprême a décidé que les sommes en question ne pouvaient clairement être identifiées et il n'était donc pas possible de distinguer entre les biens appartenant à la débitrice et les biens détenus en fiducie pour le compte de Sa Majesté. Il n'y a plus de fiducie en Common Law lorsque le montant de la taxe perçu est confondu avec les autres sommes de sorte qu'il devient impossible de le retracer ou de l'identifier.

[222] Il faut constater, dans cette affaire que l'article 18 (1) de la Social Services Tax de la Colombie Britannique prévoyait expressément que l'argent perçu est "réputé être détenu de manière séparée et distincte des deniers de l'actif".

[223] De l'avis de la juge Mc Lachlin:

"Si la somme perçue pour fins de taxe peut être identifiée ou retracée la situation correspond au sens ordinaire du mot "fiducie" et la somme est exclue."

(Soulignement ajouté)



[224] Selon la Cour Suprême, la ségrégation la somme dans un compte séparé est sans doute fort utile mais n'est pas essentielle. Il faut cependant pouvoir analyser le contenu du compte bancaire ou du compte de valeurs et constater si les sommes qui s'y trouvent peuvent être identifiées ou retracées à des dépôts provenant de sommes perçues pour fins de taxe, le tout conformément aux normes comptables générales applicable en pareilles circonstances. Si le compte peut-être reconstitué sans équivoque, l'opération d'identification et de retraçage peut alors être accomplie.

[225] Le Liquidateur affirme que les comptes de toutes les fiducies de placement ont été analysés et, sauf pour quelques rares transactions totalisant 264,000$ sur environ 75 millions, les comptes ont pu être "identifiés et retracés" pour ensuite être liquidés. Le produit de ces opérations ont fourni au Liquidateur des liquidités réparties dorénavant dans 27 comptes bancaires distincts auprès du Trust La Laurentienne.

[226] Dans son opinion dissidente, le juge Cory mentionne d'ailleurs à la page 38 paragraphe (3), la nécessité de garder des "livres comptables comportant des comptes distincts" (en anglais … "that books of account must contain distinct records …"). Donc, si les livres comptables de l'entreprise permettent l'identification et le retraçage des sommes ou des transactions, il n'y a pas, en soi, de confusion ou de "mingling" des actifs.

[227] Monsieur Martin a pu, avec les livres et registres du Groupe Norbourg et au moyen de vérifications auprès des détenteurs de parts, identifier et retracer les sommes et autres actifs déposés ou identifiés comme appartenant spécifiquement aux Fonds en question.

[228] Finalement, le jugement du juge Chaput dans Yachting & Sports Pigeon Inc.[51] ne permet pas au soussigné de retenir la thèse de Me Fontaine.

[229] En effet, cette décision s'inscrit dans un contexte où il n'y a jamais eu de processus d'identification et de retraçage des sommes détenues dans le compte bancaire de la débitrice. Malgré l'obligation de la débitrice de garder les dépôts dans un compte séparé, compte qui n'a jamais été ouvert, le syndic avait donc raison de traiter l'ensemble du solde du compte bancaire comme appartenant à la débitrice.

[230] À la toute fin de son argumentation, Me Fontaine soulève l'exemple de l'affaire Portus Alternative Asset Mangement qui n'était pas encore décidée lorsque ses notes et autorités ont été transmises au soussigné (le 10 mars 2006). Me Fontaine écrit:

La liquidation de Portus Alternative Asset Management Inc. est un bon exemple d'une situation où le tribunal aura vraisemblablement à ordonner une liquidation sur une base consolidée. Dans ce dossier, la structure d'investissement est beaucoup plus complexe que celle mise en place par le Groupe Norbourg, mais elle comporte aussi plusieurs similitudes.





[231] La réplique des procureurs du Liquidateur, transmise le 31 mars 2006, pouvait alors prendre en compte la décision du juge Campbell dans le dossier Portus[52] rendue le 31 mars 2006:

71. Enfin, en ce qui a trait à l'affaire Portus Alternative Asset Manafement Inc., nous joignons à la présente copie de la décision rendue par la Cour supérieure de l'Ontario le 21 mars 2006. Les faits entourant cette affaire étant extrêmement complexes, nous nous permettons uniquement de souligner au Tribunal que le juge Campbell a refusé de fracturer le patrimoine distinct des fiducies et a ordonné une liquidation fonds par fons.[53]



[232] La décision dans Portus confirme que:

(72) Where trust assets can be traced, there must be an equitable reason to deprive the beneficiaries of the property of the trust. Once trust property can be traced and is ascertainable, it too will be trust property. (See Eron Mortgage Corportion, Te (1999), 10 C.B.R. (4th) 257 per Tysoe J. of the British Columbia Supreme Court at paragraph 52 and Ontario (Securities Commission) V. Consortium Construction Inc. (1993), 1 C.C.L.S. 117 per Rosenberg J. of this Court at paragraph 64.).[54]





[233] Cette décision confirme donc non seulement la règle de droit que le Tribunal retient en l'instance mais aussi le fait que c'est, en dernière analyse la prévue de la fiabilité des soldes (identification and traceability) qui doit diriger la Cour dans son choix.

CONCLUSIONS

[234] Après avoir considéré l'ensemble des arguments de fait et de droit soulevés par tous les intervenants, le Tribunal conclut au choix de la Méthode de Distribution par Fonds. Jugement sera donc rendu en conséquence.



[235] PAR CES MOTIFS, le Tribunal:



[236] ACCUEILLE en partie la présente requête.



[237] APPROUVE le plan de distribution et de liquidation contenu au rapport du Liquidateur du 2 décembre 2005.



[238] DÉCLARE que le Liquidateur a le pouvoir de distribuer et de liquider les biens des Fonds sans intervention ou autorisation des fiduciaires et gérants de ceux-ci.



[239] DÉCLARE que les fiduciaires soit La Société de Fiducie Concentra, Fonds Évolution Inc. et Placement Norbourg Inc. sont exonérés et exemptés de toute formalité, obligation ou responsabilité qu'ils pourraient avoir relativement à la distribution et à la liquidation des biens des Fonds effectuée par le Liquidateur.



[240] AUTORISE le Liquidateur à détenir et à distribuer les sommes d'argent et autres actifs des Fonds pour et au nom des Détenteurs d'Unités, et ce, pour tous les Fonds à l'exception des régimes enregistrés énoncés ci-après à "F".



[241] AUTORISE le Liquidateur à détenir, distribuer et/ou transférer dans un autre régime enregistré les sommes d'argent et autres actifs qui sont la propriété d'un Régime enregistré en fiducie pour La Société de Fiducie Concentra, fiduciaire d'un tel régime enregistré pour les régimes enregistrés suivants:



a) RSP145-695, Norbourg Services Financiers Inc.;

b) RSP145-1317, Norbourg Services Financiers Inc;

c) RSP145-678, Fonds Évolution Inc.;

d) RIF1317, Fonds Évolution Inc.;

e) ESP-1028009, Plan Familial Évolution;

f) ESP-1028010, Plan individuel Évolution.





[242] AUTORISE le Liquidateur à procéder au renversement de certains transferts entre certains Fonds de la façon suivante:



Fonds débiteurs


Fonds créanciers




Norbourg Fonds Équilibrés


Fonds Évolutions REA


64,683$

Fonds Norbourg revenus Fixes


Fond Perfolio Mondial


50,000$

Fonds Norbourg Placements Équilibrés


Fonds Évolution Finance et Technologie


18,000$

Fonds Norbourg Placements Équilibrés


Fonds Évolution Tendances Démographiques


48,000$

Fonds Norbourg Placements Équilibrés


Fonds Évolution REA


42,000$

Fonds Norbourg Placements Équilibrés


Fonds Évolution Perfolio Équilibré


30,000$

Fonds Norbourg Placements Équilibrés


Fonds Évolution Perfolio Croissance


12,000$

Total





264,683$





[243] AUTORISE le Liquidateur à procéder à la liquidation des biens des Fonds selon la Méthode de Distribution par Fonds.



[244] AUTORISE le Liquidateur à l'intérieur de chaque Fonds, à utiliser comme méthode de distribution des actifs entre les différents Détenteurs d'Unités d'un même Fonds, la méthode de distribution par détenteur d'unités selon le nombre d'unités détenu par chacun d'entre eux au 25 août 2005.



[245] AUTORISE le Liquidateur à effectuer des distributions aux Détenteurs d'Unités de leur quote-part des distributions si les conditions suivantes sont respectées:



a) que le Liquidateur ait reçu et validé les informations requises dans la lettre de Ernst & Young Inc. du 12 octobre 2005 adressée aux Détenteurs d'Unités;



b) que le Liquidateur ait reçu lorsque requis les formulaires de demande de transfert appropriés dûment complétés par les Détenteurs d'Unités.





[246] AUTORISE le Liquidateur à retarder toute distribution à l'égard des biens du Fonds Évolution REA jusqu'en 2006 afin d'éviter des incidences fiscales défavorables aux Détenteurs d'Unités.



[247] AUTORISE Le Liquidateur à retenir à même les biens des Fonds, une somme équivalente à 10% de la valeur des Fonds en date de la première distribution afin de couvrir:



a) les honoraires, frais et débours du Liquidateur, de ses procureurs et des procureurs nommés par la Cour dans le présent dossier;



b) les salaires des anciens employés du Groupe Norbourg retenus par le Liquidateur pour l'assister dans ses tâches;



c) les frais d'exploitation découlant notamment du processus de confirmation de la distribution des valeurs des Fonds aux Détenteurs d'Unités, la préparation des formulaires d'impôt annuels des Détenteurs d'Unités;



d) le coût de toute procédure que le Liquidateur pourrait intenter pour récupérer des sommes additionnelles pour le bénéfice des Détenteurs d'Unités;



e) le coût de toute autre tâche ou dépense qui incombera au Liquidateur pour récupérer et distribuer les sommes additionnelles recouvertes pour le bénéfice des Détenteurs d'Unités.





[248] AUTORISE le Liquidateur à distribuer le solde des biens des Fonds en un ou plusieurs versements selon la Méthode de Distribution par Fonds et à utiliser comme méthode de distribution des actifs entre les différents détenteur d'Unités d'un même Fonds, la méthode de distribution par détenteur d'Unités selon le nombre d'unités détenues par chacun d'entre eux au 25 août 2005.



[249] ORDONNE l'exécution provisoire du jugement à intervenir nonobstant appel.



[250] ORDONNE au Liquidateur de soumettre en temps et lieu l'état de ses honoraires et déboursés, incluant tous les éléments mentionnée à la conclusion "L" ci‑haut, à l'approbation du Tribunal aux fins de taxation.



[251] RÉSERVE les droits du Liquidateur aux fins de s'adresser à la Cour en vue de l'obtention de toute ordonnance complémentaire ou incidente au présent jugement.



[252] LE TOUT SANS FRAIS.






__________________________________

ROBERT MONGEON, J.C.S.

Me IsabelleDesharnais

BORDEN LADNER GERVAIS

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GOWLING LAFLEUR HENDERSON

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Procureur de RSM Richter Inc.

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Me John W. Teolis

Me Pamela Huff

BLAKE CASSELS GRAYDON

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Pierre Laporte

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Me Yves Lauzon

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LAUZON BÉLANGER

286, rue Saint-Paul Ouest

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Procureurs du recours collectif

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Me Jean Fontaine

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Dates des audiences:







Cause prise en délibéré:



Date de la dernière communication écrite des procureurs:






17, 24 novembre 2005

12 décembre 2005

12 et 13 janvier 2006



1er février 2006





Le 10 mai 2006